« J’exile », la diaspora non fantasmée 

Pour réaliser J’exile, le magazine The Eyes a confié à l’auteur Sabyl Ghoussoub le soin d’explorer les migrations, les diasporas au travers de récits intimes. Un résulte une mosaïque illustrant, à travers les territoires et les générations, la complexité de ces notions.

Des portraits-paysages faisant, à l’aide d’archives, fusionner la « grande » et la « petite » histoire, la recherche d’un refuge dans la joie des fêtes familiales, un passé cousu de fil rouge, et puis un visage, forme spectrale, se devinant à peine derrière la fumée qui fait de lui un fantôme.

Dans le 15e numéro de la revue The Eyes, c’est l’exil qui est abordé. Un exil intime, pluriel, dont le commissaire invité, l’écrivain franco-libanais Sabyl Ghoussoub, décortique les nombreuses nuances. « J’ai voulu ouvrir le prisme au monde entier. On est souvent très cloisonné dans nos identités, par réflexe ou par intérêt, et j’ai pensé que c’était l’occasion de faire entendre des voix qui parlent de la même chose tout en venant de cultures et d’univers différents », déclare-t-il.

Intaglio test print of Triptych 1 Appa, série Ten Sounds I Cannot Hear series © Aishwarya Arumbakkam
Intaglio test print of Triptych 1 Appa, série Ten Sounds I Cannot Hear series © Aishwarya Arumbakkam
Words from dad © Laura Chen
Words from dad © Laura Chen
Seeing in the Dark © Fernando Lemos / / Instituto Moreira Salles Collection
Seeing in the Dark © Fernando Lemos / / Instituto Moreira Salles Collection
Transient Ties © Michaela Nagydaiová
Transient Ties © Michaela Nagydaiová

C’est aux alentours du 7 octobre 2023 (l’attaque du Hamas contre Israël, NDLR) que débute la confection du numéro. Une coïncidence qui place l’écrivain dans une position ambigüe : « Je me disais que cette revue était géniale parce qu’elle pouvait m’éloigner un peu du monde arabe, mais j’étais au Liban à ce moment-là, et ça m’a ramené dedans », confie-t-il.

Et puis, un an passe, et le conflit perdure. « C’était très étrange : j’étais complètement focalisé sur ce qui se déroulait dans mon pays, et ce numéro m’en faisait sortir. C’était comme une respiration : se dire que l’art pouvait encore prendre sens. » 

Myriad of You © Safia Delta
Myriad of You © Safia Delta
álbum contra-familiar © Lxs Sexi-liadxs
álbum contra-familiar © Lxs Sexi-liadxs

Confronter les réalités

Dans la sélection de photographes – choisie avec l’aide de Taous Dahmani, directrice éditoriale de The Eyes et une jeune stagiaire, Céline El Faghaly – ces contradictions apparaissent également. Taysir Batniji, un Palestinien dont l’ouvrage Disruptions regroupe des images d’un dialogue familial pixellisé, presque illisible, car corrompu par la guerre, croise ainsi les collages de Prune Phi.

L’artiste visuelle recompose, à l’aide de grosses bandes de scotch, le portrait morcelé d’un héritage partagé entre le Vietnam, la France et les États-Unis. Fernando Lemos, né à Lisbonne et mort à São Paulo trouve quant à lui dans la photographie surréaliste et les manipulations du médium un moyen de souligner la complexité des êtres dans un territoire prônant l’unicité.

A yellow dress, a bouquet © Atong Atem
A yellow dress, a bouquet © Atong Atem
To be real © Atong Atem
To be real © Atong Atem
À ma mère et Thabrate © Badr El Hammami
À ma mère et Thabrate © Badr El Hammami
Summit Meeting © Camille Lévêque
Summit Meeting © Camille Lévêque

Partout, les narrations s’entrechoquent, tout en se rejoignant, parfois, là où on ne les attend pas. « Il y a une sorte de fantasme de l’exil en Occident. Mais quand la réalité nous rattrape, comme elle l’a fait cette année passée, tout est remis à plat. Tout à coup, un rédacteur en chef libanais et un artiste palestinien travaillent avec des auteurs en France qui ne connaissent que ce pays depuis leur naissance. Comment, alors, faire pour parler de ce qui est, pour [eux] une œuvre d’art, et pour nous, notre réalité familiale et quotidienne ? C’était super de laisser ces réalités se confronter autour de cette thématique », affirme Sabyl Ghoussoub.

Mosaïque de récits à la première personne, J’exile s’impose ainsi comme une revue de résonances, de dialogues hors frontières. De l’horreur à l’humour, du bonheur au déchirement, par leur nombre, les voix composent une définition mouvante, viscérale, de la diaspora.

J’exile, le 15e numéro du magazine The Eyes, est disponible sur commande, au prix de 25€.

À ma mère et Thabrate © Badr El Hammami
À ma mère et Thabrate © Badr El Hammami
See You In 6 Months © Shina Peng
See You In 6 Months © Shina Peng
This is a story about my family © Yassmin Forte
This is a story about my family © Yassmin Forte
We are here temporarily, maybe forever © Victoria Likholet, Maria Petrenko
We are here temporarily, maybe forever © Victoria Likholet, Maria Petrenko

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