Des portraits-paysages faisant, à l’aide d’archives, fusionner la « grande » et la « petite » histoire, la recherche d’un refuge dans la joie des fêtes familiales, un passé cousu de fil rouge, et puis un visage, forme spectrale, se devinant à peine derrière la fumée qui fait de lui un fantôme.
Dans le 15e numéro de la revue The Eyes, c’est l’exil qui est abordé. Un exil intime, pluriel, dont le commissaire invité, l’écrivain franco-libanais Sabyl Ghoussoub, décortique les nombreuses nuances. « J’ai voulu ouvrir le prisme au monde entier. On est souvent très cloisonné dans nos identités, par réflexe ou par intérêt, et j’ai pensé que c’était l’occasion de faire entendre des voix qui parlent de la même chose tout en venant de cultures et d’univers différents », déclare-t-il.
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C’est aux alentours du 7 octobre 2023 (l’attaque du Hamas contre Israël, NDLR) que débute la confection du numéro. Une coïncidence qui place l’écrivain dans une position ambigüe : « Je me disais que cette revue était géniale parce qu’elle pouvait m’éloigner un peu du monde arabe, mais j’étais au Liban à ce moment-là, et ça m’a ramené dedans », confie-t-il.
Et puis, un an passe, et le conflit perdure. « C’était très étrange : j’étais complètement focalisé sur ce qui se déroulait dans mon pays, et ce numéro m’en faisait sortir. C’était comme une respiration : se dire que l’art pouvait encore prendre sens. »
Confronter les réalités
Dans la sélection de photographes – choisie avec l’aide de Taous Dahmani, directrice éditoriale de The Eyes et une jeune stagiaire, Céline El Faghaly – ces contradictions apparaissent également. Taysir Batniji, un Palestinien dont l’ouvrage Disruptions regroupe des images d’un dialogue familial pixellisé, presque illisible, car corrompu par la guerre, croise ainsi les collages de Prune Phi.
L’artiste visuelle recompose, à l’aide de grosses bandes de scotch, le portrait morcelé d’un héritage partagé entre le Vietnam, la France et les États-Unis. Fernando Lemos, né à Lisbonne et mort à São Paulo trouve quant à lui dans la photographie surréaliste et les manipulations du médium un moyen de souligner la complexité des êtres dans un territoire prônant l’unicité.
Partout, les narrations s’entrechoquent, tout en se rejoignant, parfois, là où on ne les attend pas. « Il y a une sorte de fantasme de l’exil en Occident. Mais quand la réalité nous rattrape, comme elle l’a fait cette année passée, tout est remis à plat. Tout à coup, un rédacteur en chef libanais et un artiste palestinien travaillent avec des auteurs en France qui ne connaissent que ce pays depuis leur naissance. Comment, alors, faire pour parler de ce qui est, pour [eux] une œuvre d’art, et pour nous, notre réalité familiale et quotidienne ? C’était super de laisser ces réalités se confronter autour de cette thématique », affirme Sabyl Ghoussoub.
Mosaïque de récits à la première personne, J’exile s’impose ainsi comme une revue de résonances, de dialogues hors frontières. De l’horreur à l’humour, du bonheur au déchirement, par leur nombre, les voix composent une définition mouvante, viscérale, de la diaspora.
J’exile, le 15e numéro du magazine The Eyes, est disponible sur commande, au prix de 25€.
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