Le 11 août 1973, Kool Herc fait office de DJ lors de la fête de rentrée scolaire de sa sœur qui a lieu dans une salle du 1520 Sedgwick Avenue dans le Bronx, à New York. S’inspirant de la culture du sound-system de sa Jamaïque natale, l’adolescent installe deux platines, place une copie du même disque sur chacune d’elles et commence à faire des allers-retours entre les deux, en ne jouant que les breaks de percussion.
En un clin d’œil, le hip-hop est né : ce nouveau style de musique va rapidement s’imposer. Encore sans appellation précise, il fait vite des vagues. Lors des soirées, Herc crie « B-boys go down », invitant les danseurs à faire étalage de leur talent. Les MCs s’emparent du micro, imitant le style reggae des toasters. Et c’est ainsi qu’une mesure après l’autre, le rap naît, et qu’en l’espace d’une décennie, la vogue du hip-hop va déferler sur le monde.
En 1982, Charlie Ahearn sort l’album Wild Style, qui réunit les quatre éléments de la culture hip-hop pour la toute première fois au cinéma. Le film présente au monde entier les DJ, MC, breakers et graffeurs qui, encore très underground, créent ce qui deviendra une industrie musicale d’un milliard de dollars.
Le break a été popularisé dans les années 1980, mais comme c’est le cas pour de nombreuses formes de danse, il s’est avéré difficile à commercialiser pendant une longue période. Alors que les élites artistiques le traiteront comme une mode, le rejetant dès qu’il ne peuvent plus capitaliser sur sa créativité, le break va continuer à évoluer dans le monde entier, tout en restant étroitement lié à ses racines propres.
Au cours du dernier demi-siècle, la combinaison singulière de l’athlétisme et de l’art du break a séduit des personnes de tous horizons, devenant même un langage qui transcende toutes sortes de frontières. En 2024, le break fera ses débuts comme nouvelle discipline aux Jeux olympiques de Paris, montrant au monde entier tout le chemin parcouru depuis que les B-boys et B-girls faisaient la toupie la tête en bas sur des cartons.
Adoptez le bon pied
Originaire de New York, le photographe Frank « B-boy Frankie » Perez se lance dans le breakdance en 2002, à 13 ans, quand un voisin lui montre quelques figures. Ils regardent ensemble des cassettes VHS, puis s’entraînent dans la cuisine. Perez devient accro et commence à se rendre dans un lieu du quartier où il peut s’entraîner aux côtés de B-boys plus expérimentés.
« Ça m’a paru énorme. Pour quelqu’un qui a grandi dans le Queens, où je traînais dans un rayon de dix pâtés de maisons, c’était comme si le monde commençait à s’ouvrir à moi », raconte Perez, qui a fini par se sentir assez sûr de lui pour participer à des compétitions. « Parfois, aller dans un autre quartier pour m’entraîner ou pour un événement me donnait vraiment l’impression de pénétrer dans un monde différent. »
À 19 ans, Perez commence à réaliser ses propres vidéos – des montages de ses voyages, se mettant en scène avec ses amis – inspirées par des vidéos de skateboard old school. « C’était très dur, mais il y avait une beauté, une innocence, un côté brut que je trouve aujourd’hui remarquable », dit-il.
Puis son intérêt pour tout ce qui est visuel se renforce et Perez décide d’étudier l’art, la photographie et le cinéma. En 2015, à 26 ans, il se concentre exclusivement à la photographie.
Déçu par la représentation du breakdance dans les médias grand public, Perez entreprend de documenter cette discipline. Il obtient une subvention du Queens Council of the Arts pour produire See Me Up ? It’s ‘Cause I’ve been down, un livre d’artiste autoédité présentant des photographies réalisées dans le monde entier entre 2018 et 2020.
Amen, mon frère
Aujourd’hui, Frankie Perez se concentre sur l’utilisation de la photographie pour faire évoluer la manière dont le breakdance est perçu dans un moment de reconnaissance pour les B-boys et les B-girls. Le 3 mars dernier, il a participé à l’événement « Descendants of the Break », organisé par Red Bull BC One, le plus prestigieux combat solo de B-boys au monde. « Cet événement, c’était une façon de rendre hommage à ce qu’est le break à la base : des jams communautaires, des battles spontanés et des cyphers ouverts, à l’endroit même où il a commencé : New York », explique-t-il.
Danseur autodidacte et photographe, Perez comprend ainsi que l’attrait intergénérationnel de la culture hip-hop réside dans sa philosophie du « quelque chose parti de rien ». « Contrairement à un autre style de danse qui pourrait être considéré comme plus “sophistiqué” en apparence, je n’ai jamais eu besoin de payer quelqu’un pour m’apprendre à breaker, ni d’acheter des vêtements particuliers pour me lancer », dit-il. « Je pense que le break ne disparaîtra jamais, de la même manière que le rap ne disparaîtra jamais. Notre mouvement ne cesse d’évoluer et il y aura toujours ceux qui veulent aller encore plus loin. »
Selon Perez, on pourrait dire la même chose de son approche de la photographie, qui est fluide et abstraite, un peu comme le breakdance. « La documentation directe de cette culture ne m’intéresse plus », déclare Perez, qui photographie actuellement la qualification de l’équipe olympique américaine de breakdance. « Aujourd’hui, je vis un rêve éveillé. »
See me up? It’s ‘Cause I’ve Been Down, par Franckie Perez, 80 pages, $60.00