La réalité – comme la nature – est une force sauvage et magnifique, une vérité si grande qu’elle en est sublime. L’art, dans sa forme la plus exaltée, nous transporte dans un royaume ineffable, un espace où la compréhension se trouve au-delà du mot. « Nous savons tous que l’art n’est pas la vérité », a un jour déclaré Pablo Picasso. « L’art est un mensonge qui nous fait réaliser la vérité, du moins celle qu’il nous est donné de comprendre. L’artiste doit savoir convaincre les autres de la véracité de ses mensonges. »
Une opinion qui s’applique au travail du néerlandais Erwin Olaf, dont les images soigneusement mises en scène occupent l’espace palpable entre réalité et fiction. Pour les nouvelles expositions « New Series : April Fool et In the Forest and Strange Beauty », à voir à Münich et toutes deux accompagnées d’un catalogue, il revisite ses archives, revenant sur 40 ans de carrière qui explorent les aspects méditatifs de l’émotion, de la motivation et de la pensée humaines, ainsi que les questions sociales et politiques auxquelles sont confrontées les femmes, les personnes de couleur et la communauté LGBTQ+.
« Il faut sans cesse que je sois un peu en colère, sinon je ne travaille pas », explique Erwin Olaf avec la franchise d’un révolutionnaire. Une rébellion motivée par l’amour et le désir de détruire les contrevérités de notre monde. « On me pose toujours la question : “Est-ce réel ou irréel ?” Avec la photographie, pourquoi pensons-nous que nous regardons la réalité ? » demande le photogtraphe. « Pour moi, l’appareil photo est un instrument permettant d’enregistrer mon imagination et de traduire les choses que j’ai en tête pour en produire une image. Lorsque nous observons une toile, nous acceptons qu’elle provienne de l’esprit et de la pensée du peintre. C’est la même chose avec la musique, la littérature et le cinéma. Vous pouvez vous rendre dans une salle obscure l’après-midi pour voir un film et pleurer à chaudes larmes en sachant que c’est totalement artificiel. Mais lorsqu’il s’agit de photographie, il faudrait être dans le “monde réel”. Ce raisonnement me laisse sceptique. »
Papillons de nuit
Dès le début de sa carrière, Erwin Olaf a ainsi rejeté le principe de documenter la réalité, reconnaissant que l’histoire qu’il voulait raconter ne provenait pas du monde extérieur. « Quand je ferme mon œil, je vois un monde parfait que je ne retrouve pas dans la réalité », dit-il.
Jeune adulte à Amsterdam dans les années 1980, il découvre que le monde de la nuit est parfait pour explorer tout cela. « L’appareil photo m’a donné la clé pour pénétrer des univers qui m’intriguaient », poursuit-il. « La vie nocturne est remplie de magnifiques papillons de toutes les tailles et couleurs. On se retrouve dans des coins sombres pour danser, et célébrer la vie et la liberté. A travers l’objectif, on voit ce qui est fantastique, intriguant et spécial. »
Comme Robert Mapplethorpe et Joel Peter Witkin, Erwin Olaf revendique la photographie comme moyen de construire la réalité. « J’utilisais l’appareil photo pour découvrir ce que je pensais, qui j’étais, où j’allais, et explorer le monde qui m’entourait », détaille-t-il à propos de la genèse de « Squares », série de portraits iconiques en noir et blanc de la communauté LGBTQ réalisés entre 1983 et 2018.
« Je m’intéressais aux gens, à leurs opinions et à leur comportement. J’ai commencé à les convier dans mon studio, où je pouvais créer mon propre monde et les photographier en fonction des idées qu’ils m’inspiraient. Je n’avais pas de plan, je suivais simplement mon instinct. »
Tournant
Depuis, Erwin Olaf a maintenu un équilibre entre son travail personnel et professionnel. Il se sert de l’argent et de la technique de ses travaux de commande pour ses propres projets, créant ainsi une base solide pour élargir ses horizons. Après la série « Royal Blood » (2000), où il s’attaquait à la haute société et explorait le martyre de personnalités historiques telle Lady Diana, princesse de Galles, il entreprend des séries plus intimistes comme « Rain » (2004), « Hope » (2005) et « Grief » (2007).
Influencé par l’œuvre de l’illustrateur américain Norman Rockwell, Erwin Olaf crée des œuvres inspirées de sa jeunesse, dans les années 1950 et 1960. Mais le premier jour des prises de vue de « Rain » le panique : « Les photos étaient très mauvaises. Et c’étaient les plus chères que j’avais jamais faites ! » se souvient-il.
Il comprend intuitivement que derrière les images idylliques de l’Amérique des années 1950 se cache une vérité plus sombre sur les horreurs de la ségrégation et du racisme. En observant les modèles, il s’aperçoit que leur réaction au décor est une révélation en soi. « J’ai fait un polaroïd et j’ai compris que c’était le moment que je voulais photographier », raconte-t-il. « Cette idée de l’instant entre l’action et la réaction est née de “Rain” et de “Hope”. Je me suis intéressé au langage corporel et à la façon dont le regard du modèle peut influencer l’histoire sans que je n’aie à intervenir. Cela m’a ouvert de nouvelles portes. »
Plus récemment, Erwin Olaf est retourné travailler en extérieur – pour la première fois en 25 ans après qu’un tournage dans les années 1990 ait mal tourné – et créer de nouvelles séries, dont « Palm Springs » (2018) et « Im Wald » (2020). Pour cette dernière, il s’est rendu dans les Alpes allemandes pour traiter l’éternel sujet de l’homme contre la nature. « Pauvres êtres humains que nous sommes, tellement arrogants et aveugles – nous pensons être supérieurs à la nature », explique-t-il. « Nous ne comprenons pas que nous devrions être plus prudents, car notre comportement va nous mener à notre perte. J’ai voulu attirer l’attention sur le fait que nous sommes minuscules et qu’il nous faut connaître notre place dans le monde. Nous devons respecter la nature. »
By Miss Rosen
Miss Rosen is a New York-based writer focusing on art, photography, and culture. Her work has been published in books, magazines, including Time, Vogue, Aperture, and Vice, among others.
« Erwin Olaf ¬¬- Nouvelles séries : April Fool et In the Forest »
« Erwin Olaf : Strange Beauty », jusqu’au 26 septembre 2021, Kunathalle Munich, Theatinerstraße 8, 80333 München, Allemagne.
Erwin Olaf : Strange Beauty, publié par Hatje Cantz, 44 €.