Le photographe Edwin Torres a grandi dans le South Bronx, quartier de sombre réputation. Dans l’esprit de ceux qui n’y ont jamais mis les pieds et s’imaginent ses rues ravagées des années 1970, il évoque le crime et la violence. Mais comme le dit Torres, « de vraies personnes y vivent, des enfants et des familles qui sont éclipsés par les gros titres dépréciatifs. Le Bronx a des défis à relever, et l’un des meilleurs moyens de le faire est de mettre en lumière ses aspects positifs, tout ce qui le rend si spécial, dynamique et unique. »
Les parents d’Edwin Torres sont nés à Puerto Rico et arrivés séparément à New York. Ils se sont rencontrés dans cette ville où ils ont construit leur vie ensemble. Sa mère s’est efforcée de terminer ses études, obtenant finalement une maîtrise tout en élevant trois enfants. Un exemple pour Torres. « Mes deux parents ont travaillé dur tout en ayant leur famille pour priorité. Selon des valeurs qui sont aussi des valeurs portoricaines. »
Le chemin de Torres a croisé celui de la photographie grâce à un autre membre de la famille, lors de l’un des jours les plus sombres de l’histoire américaine : le 11 septembre 2001. « Mon frère aîné Justin, avant d’être pompier à New York, travaillait comme ambulancier. Le 11 septembre et les jours suivants, il a fouillé les décombres du World Trade Center à la recherche de survivants. Il rentrait à la maison avec un appareil photo jetable que j’emmenais au magasin pour faire développer les photos. J’avais 12 ans, et ces images sont restées gravées dans ma mémoire. Je pense que c’est cette expérience qui m’a fait comprendre le pouvoir des images. »
Au cours de ses études au Colby College, dans le Maine, Torres commence à étudier la photographie, après s’être d’abord intéressé à la réalisation de films. Son objectif est de faire un court métrage, mais un prof lui suggère d’apprendre la lumière et la composition, et lui propose de s’inscrire à un cours de photographie. Dans la chambre noire, il tombe amoureux du processus analogique, émerveillé par la chimie.
Son diplôme en poche, Torres devient photojournaliste indépendant, puis travaille pour le bureau du maire de New York. Il est actuellement directeur numérique adjoint du bureau du gouverneur du New Jersey. Mais ce n’est pas tout. En 2016, il contribue à un reportage récompensé par le prix Pulitzer avec ProPublica et le New York Daily News, une enquête sur les abus dans l’application de la loi au sein de la police de New York.
Mais c’est pendant sa première année d’études que le projet de Torres de documenter sa famille a vu le jour. « Notre projet consistait à réaliser 5 portraits. J’y ai travaillé des semaines sur le campus, mais j’ai réalisé juste avant les vacances de Thanksgiving que deux de mes pellicules étaient complètement vierges. J’ai paniqué, mais mon professeur m’a conseillé de photographier ma famille pendant les vacances… et je n’ai jamais cessé de le faire. »
Si ce travail a été initié à l’université, c’est lors d’un atelier à Brooklyn que Torres décide de le poursuivre. « L’idée est revenue au contact de Maggie Steber et Erica Mcdonald. Il s’agissait d’un atelier d’une semaine à Brooklyn. Je souhaitais être intimement lié à mon travail, comme Maggie lorsqu’elle a photographié sa mère à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer. J’ai proposé de passer du temps avec ma famille, et elle a été emballée. Cette semaine a été le point de départ du projet car j’ai pu passer un jour ou deux avec chaque membre de ma famille afin de les photographier dans leur quotidien. »
Les images dévoilent des moments intimes de la vie de sa famille. Et comme dans toute famille digne de ce nom, ils se moquaient du fait qu’il photographiait absolument tout. Mais lorsque la mère de M. Torres est décédée en avril 2020, aux premiers jours de la pandémie de Covid-19, le projet a pris une nouvelle dimension.
« Ils se sont parfois plaints parce que je n’ai jamais cessé de les immortaliser, mais je pense qu’aujourd’hui, ils sont heureux du résultat. Avec la perte de notre mère, ce projet a pris une signification particulière pour devenir un moyen d’honorer sa mémoire. »
« Ces images me semblent tout ce qu’il y a de plus authentique. Joies, naissances, et autres déménagements n’éclipsent pas les moments de douleur et de souffrance. Ce que nous voyons sur les réseaux sociaux aujourd’hui ne reflète pas honnêtement nos existences. Toute famille est un jour ou l’autre confrontée à la vieillesse, à la maladie et à la souffrance. Ayant perdu ma mère, lorsque je regarde ces photos, j’en retire une certaine force… si notre famille a su relever tous ces défis, j’y survivrai aussi. J’espère que d’autres y trouveront une inspiration. Afin d’apprécier chaque moment de la vie, et pas seulement les plus rose. »
D’autres œuvres d’Edwin Torres sont visibles sur son site.