Inaugurée le 13 octobre 2012, à Bruxelles, la Fondation A. se situe près de la gare, dans un quartier dynamique où les graffitis ne sont pas effacés illico. Ses expositions sont réputées – on se souvient d’un Lee Friedlander ensorcelant proposé par Jean-Paul Deridder en 2014 -, et nul ne songerait à quitter Bruxelles sans y avoir fait un tour, quitte à rater son train.
Pour fêter les dix ans de sa fondation à la programmation assez insolite, Astrid Ullens de Schooten Whettnall a choisi de privilégier le féminin. Pas tellement pour se singulariser, car le genre est devenu tendance, plutôt pour se faire l’écho de son engagement continu en tant que collectionneuse :
« J’ai ouvert la fondation sur une exposition de Judith Joy Ross et je suis fière de célébrer les 10 ans en remontrant une partie de ses travaux. Une femme exceptionnelle qui dénonce les injustices, les intérêts et dont la maitrise des techniques de tirages m’impressionne depuis longtemps. Mon engagement pour ces femmes, c’est mon hommage et ma contribution aux combats encore à mener du XXIème siècle. »
L’exposition Regards de Femmes – dont le commissariat a été confié à Béatrice Andrieux -, s’est terminée juste avant Noël, dommage, mais le catalogue édité en complément est disponible. Il faut en profiter. Couverture orange vif, graphisme pop et impression impeccable, Regards de Femmes déroule les images d’une vingtaine d’artistes, de Diane Arbus à Ursula Schultz-Dornburg. Exception : Gabriele et Helmut Nothhelfer (nés en 1945 à Berlin et Bonn), qui signent ensemble leurs portraits très étonnants d’une Allemagne curieusement familière. C’est beau.
Si les accros à Blind connaissent déjà certaines signatures, Judith Joy Ross, donc, Graciela Iturbide, Ursula Schultz-Dornburg, Lisette Model, ou Diane Arbus, toutes magistrales, d’autres sont restées dans l’ombre, par une discrétion quasi imposée (l’histoire de la photographie n’a pas été tendre avec les femmes) ou pour d’autres raisons, parfois juste pragmatiques, il n’est pas si simple de trouver une galerie, d’exister sur les cimaises festivalières et d’affronter le marché de l’art si vorace en têtes d’affiche.
Ce qui rend ce catalogue intéressant, c’est sa façon de mettre en relation des manières différentes de pratiquer, et de cultiver, la photographie. Ces expériences personnelles sont nourrissantes, certaines même exaltantes. Revisiter les grands maîtres américains du nu et du paysage (Tarrah Krajnak). Témoigner in situ ou s’éloigner de ses racines (Yolanda Andrade, Kattia García Fayat).
Dénoncer, sublimer ou archiver les revendications territoriales (Andrea Geyer). Suggérer la violence des guerres, de l’apartheid, sans exhiber de cadavres (Martha Rosler, Jo Ractliffe)). Dévoiler la vie des prostitués travestis, leur combat entre dictature et sida (Paz Errázuriz).
La Chilienne Paz Errázuriz est autodidacte. C’est elle qui clôt en majesté Regards de Femmes. Une artiste engagée. Qui se confronte à ses sujets avec vaillance, qu’ils soient à la rue, à l’hôpital psychiatrique, sur le ring ou dans les bordels.
Regards de Femmes, Toluca Éditions + Fondation A., 216 pp., 40 euros. Textes d’Astrid Ullens de Schooten Whettnall et de Béatrice Andrieux.