Sur une colline, au fond d’un domaine peuplé de bâtisses de pierre claire, flotte une photo aux teintes nostalgiques où une main dessine une tête de chèvre. On remarque à peine la structure de métal brut qui la maintient à la hauteur des fruitiers taillés en espalier.
Sitôt les yeux ont-ils fini d’explorer le cliché d’Irène Jonas qu’ils sont appelés par le panorama qui se déroule juste derrière : des vallons peints aux couleurs du printemps où le jaune du colza flamboie parmi toutes les nuances de vert. Nous voici au cœur du Parc naturel régional du Perche, à deux heures à l’ouest de Paris.
C’est dans ce bout de Normandie sculpté par une longue tradition agricole que Christine Ollier, ancienne galeriste parisienne, a impulsé Le Champ des impossibles. La quatrième édition du festival offre un parcours de vingt expositions dans quinze lieux sur le thème du règne animal, visible les week-ends et jours fériés jusqu’au 4 juin.
« Le festival est né d’une balade où le maire de Perche-en-Nocé m’a montré églises et paysages », raconte Christine Ollier. « Grâce aux artistes qui viennent et qui créent, nous défendons un projet culturel au sein de ce territoire. » La particularité de ce parcours est de faire se rencontrer art contemporain et patrimoine.
Manoirs, églises, anciens bâtiments agricoles, ou même demeures particulières, tous les lieux d’exposition racontent la riche histoire de la région, des « écrins » comme le souligne la directrice artistique. Pascal Pecchioli, le maire de Perche-en-Nocé, se félicite que l’événement permette de « faire vivre la culture en milieu rural ». « L’an passé, il y a eu 13 500 visites dont 50 % d’habitants du coin », comptabilise Christine Ollier.
Le Champ des impossibles offre aux habitants de la région un nouveau regard sur leur territoire. Certains lieux sont en effet rarement ouverts au public. La programmation met aussi en lumière les travaux d’artistes locaux comme les peintres Djabril Boukhenaissi et Isabelle de Noaillat, ou le photographe Jimmy Beunardeau. Surtout, une partie centrale du projet est l’organisation de résidences d’artistes qui « font vivre Le Champ des impossibles toute l’année », comme le signale Christine Ollier.
Ainsi, Anne Rearick dont les images sont présentées au dernier étage du manoir de Courboyer, un monument du XVe siècle classé en 1981, a-t-elle passé plusieurs mois dans la région. L’Américaine est allée à la rencontre des Percherons et de leurs animaux. La photographe de l’agence VU’ insiste sur « la relation profonde des habitants du Perche avec la terre » dans le volume de la collection Les Carnets (coédition de l’association Art Culture & Co et Filigranes) qui lui est consacré.
Dans l’exposition, les portraits (souvent des personnes âgées, des enfants ou des adolescents) alternent avec les paysages et les intérieurs, un quotidien où les animaux ont leur place : ici un chat qu’on gratouille, là un chien lové sur un fauteuil, ailleurs un chevreau sur la tête duquel on dépose un baiser tendre.
À cette tendresse des habitants pour leurs bêtes répond celle d’Anne Rearick pour ses modèles. Les images dégagent une impression d’empathie, de respect et d’intérêt profond pour l’humain. Christine Ollier voit dans la « douceur des gris » des tirages que la photographe réalise, « le renouveau de la photographie humaniste ».
Dans le parc du manoir de Courboyer, il n’est plus question d’humain, toute la place est laissée aux animaux sauvages photographiés par Jimmy Beunardeau. Cet « enfant du pays » fait partie des talents émergents que Le Champ des impossibles fait découvrir aux côtés d’artistes plus connus comme la peintre Françoise Pétrovitch ou la photographe Karen Knorr. Autour d’un petit étang s’égayent des photos prises de nuit. Le contraste entre la clarté du jour et les clichés sombres force à scruter l’image ; enfin, on les aperçoit : les cerfs, tout bois dehors.
Autre étape du parcours, l’exposition de Mathieu Lion, au moulin Blanchard, nous emmène également à la rencontre de la faune forestière. Les sangliers sont ici les maîtres. On y suit leur piste, notamment sonore grâce à un enregistrement où se mêlent les bruits de la forêt et la voix de Rémi, qui a transmis à Mathieu Lion ses connaissances en pistage. La combinaison des deux supports permet d’approcher différemment le milieu naturel. « Je m’intéresse au paysage et à ceux qui le connaisse », résume le photographe.
Aurélie Scouarnec montre elle les liens qui unissent la faune et l’homme. Titulaire de la Bourse du talent en 2021, la Parisienne a suivi les activités de Faune Alfort, une association qui recueille les animaux blessés et les remets sur patte avant de les rendre à la vie sauvage. Dans la petite galerie au pied de l’église de Nocé, les tirages montrent les mains attentives et délicates des bénévoles s’affairant auprès d’oiseaux de proie, de martinets ou de biches. « Cette série est entre la photo d’auteur et documentaire », note la directrice artistique du Champ des impossible.
Dans les jardins du domaine de Méhery, que les propriétaires ouvrent exceptionnellement aux visiteurs dans le cadre du parcours, on ne peut se méprendre sur la nature des photos d’Irène Jonas. Disséminées dans l’espace, les images nous parlent de temps anciens, de dames en longues robes, d’animaux naturalisés et de dessins naturalistes. « La mémoire est mon fil directeur, l’apparition et la disparition », relate la photographe.
Cette série est née lors d’une résidence au château de la peintre Rosa Bonheur (1822-1899), à Thomery (Seine-et-Marne). La photographe y joue notamment sur la superposition entre les clichés du parc de Thomery, pris alors que, par une belle coïncidence, on y tournait un film en costumes, et des photos d’animaux. La sélection des images et la scénographie ont été laissées à Christine Ollier. Ici, comme dans les quinze autres lieux d’exposition, il y a finalement deux niveaux à apprécier : l’un artistique, l’autre paysager.
Le Champ des impossibles, jusqu’au 4 juin, pays de Perche-en-Nocé.
Avec des expositions de Jimmy Beunaudeau (photo), Djabril Boukhaissi (peinture et gravure), Martine Camillieri (photo), Manoli Gonzalez (céramique), Sébastien Gouju (céramique), Benoît Huot (sculpture), Irène Jonas (photo), Karen Knorr (photo), Marina Le Gall (céramique), Mathieu Lion (photo) Julien des Monstiers (peinture), Isabelle de Noaillat (peinture, dessin), Françoise Pétrovitch (peinture, dessin, vidéo), Catherine Poncin (photo), Camille Pozzo di Borgo (gravure), Anne Rearick (photo), Aurélie Scouarnec (photo), Francesca Todde (photo), Yves Trémorin (photo) et Sylvain Wavrant (sculpture).