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« Être original ou mourir » : l’art radical de Madame Yevonde

Retour sur l’itinéraire d’une artiste d’avant-garde, qui a opté pour la photographie couleur dans les années 1930.

« ‘Être original ou mourir’ est une devise que devraient adopter tous les photographes…Il faut qu’ils mettent de la vie et de la couleur dans leur travail »

Madame Yevonde

En 1936, debout devant la Royal Photographic Society, la photographe et femme d’affaires britannique Yevonde, de son vrai nom Yevonde Cumbers Middleton, (1893-1975) donne une conférence audacieusement intitulée « The Future of Portraiture – If Any » (L’avenir du portrait – s’il y en a un).

« ‘Être original ou mourir’ est une devise que devraient adopter les photographes…Il faut qu’ils mettent de la vie et de la couleur dans leur travail », déclare-t-elle au public avec le même aplomb qu’elle a manifesté durant trente ans, en réalisant des portraits en studio de la société londonienne.

La photographie couleur vient de faire son apparition dans le pays, et Yevonde a immédiatement choisi ce médium, en raison de ses possibilités intenses et enivrantes. Durant son premier siècle d’existence, la photographie a démocratisé le portrait, tout en libérant simultanément l’image des limites étroites de la documentation.

Yevonde Self Portrait with Vivex One-Shot Camera © Madame Yevonde
Yevonde Self Portrait with Vivex One-Shot Camera © Madame Yevonde
Vivien Liegh © Madame Yevonde
Vivien Liegh © Madame Yevonde

Entre les mains de Yevonde, la couleur devient un espace où peut être exploré les qualités picturales de la forme. Elle choisit de photographier des stars de la scène et de l’écran telles que l’actrice britannique Vivien Leigh et l’acteur John Gielgud, en les représentant sous les traits de dieux et déesses envoyés sur terre. D’une manière surréaliste, ils apparaissent comme étant à la fois humains et divins, dans un monde qui commence tout juste à se moderniser.

Durant 60 ans, Yevonde se trouvera à l’avant-garde de la photographie, bien avant que la couleur obtienne la reconnaissance qu’elle mérite. Dans une récente exposition accompagnée d’un catalogue, et intitulée Yevonde: Life and Colour, la National Portrait Gallery de Londres retrace les 60 ans de carrière de l’artiste photographe.

Joan Maude © Madame Yevonde
Joan Maude © Madame Yevonde
Dorothy Gisborne © Madame Yevonde
Dorothy Gisborne © Madame Yevonde

Naissance de Madame Yevonde

La photographie de portrait se révèle être le médium idéal pour Yevonde. Dès son plus jeune âge, elle fait preuve d’originalité, préférant être financièrement indépendante à une époque où les filles de sa classe sont vouées au mariage et à la maternité.

Madame Yevonde, née Yevonde Cumbers en 1893 dans le sud de Londres, rejoint le mouvement des suffragettes en 1910 ; elle décide ensuite de devenir photographe, fait brièvement son apprentissage auprès de la portraitiste Lallie Charles, et monte son premier studio à Londres en 1914. C’est un début prometteur, et elle excelle à la fois en tant qu’artiste et entrepreneur.

Autoportrait © Madame Yevonde
Autoportrait © Madame Yevonde
Muhammadu Kabir Usman (fils d'Usman Nagogo) et Ibrahim (fils de Yusifu Lamba), petits-fils de Muhammadu Dikko, émir de Katsina © Madame Yevonde
Muhammadu Kabir Usman (fils d’Usman Nagogo) et Ibrahim (fils de Yusifu Lamba), petits-fils de Muhammadu Dikko, émir de Katsina © Madame Yevonde

En 1920, Yevonde se marie, mais au lieu d’utiliser son nom légal, Mrs. Edgar Middleton, elle devient Madame Yevonde l’année suivante dans de curieuses circonstances. Le British Journal of Photography, auquel elle avait envoyé le manuscrit de sa conférence intitulée « Photographic Portraiture from a Woman’s Point of View », lui a répondu qu’ils désiraient publier le texte, mais non sans avoir clarifié leur politique. « Les idées nouvelles », dit la lettre, « les perspectives non conventionnelles et l’imagination vive que vous avez, vous autres femmes photographes, vous mèneront loin. C’est un cadeau du ciel, mais bizarrement, les dieux ne vous ont pas donné la maîtrise de la technique. »

Néanmoins, insiste la lettre, il reste un point à régler : on dit clairement à la photographe que son nom professionnel, Yevonde, ne convient pas. Et c’est alors qu’elle choisit le pseudonyme de « Madame Yevonde ».

« Le Surhomme est enfin arrivé, en la personne d’une femme moderne »

Femme moderne accomplie, Yevonde est parfaitement à même de se faire une place dans la société en dressant un portrait étincelant de l’aristocratie britannique de l’entre-deux-guerres. Mais tout change avec l’invention du procédé Vivex dans les années 1930, permettant de réaliser des photographies en couleur. Yevonde opte immédiatement pour ce médium qui n’a « pas de passé, pas de tradition, pas de maîtres anciens, mais seulement un avenir ! », même si elle sait devoir lutter contre l’opinion dominante selon laquelle la couleur est inutile et artificielle.

« Si nous faisons des photographies en couleur, il faut, pour l’amour du ciel, que ce soit une explosion de couleurs, et aucun de vos fades coloriages »

Margaret Sweeny (Whigham, et plus tard Duchesse d'Argyll) © Madame Yevonde
Margaret Sweeny (Whigham, et plus tard Duchesse d’Argyll) © Madame Yevonde
© Madame Yevonde
© Madame Yevonde

« Si nous faisons des photographies en couleur, il faut, pour l’amour du ciel, que ce soit une explosion de couleurs, et aucun de vos fades coloriages », déclare Yevonde, qui se consacre à un travail sur la forme. Et tout ce que le surréalisme a de mystérieux, de majestueux et de subversif, on le retrouve dans ses photos glamour, où les stars hollywoodiennes sont représentées sous les traits de dieux et de déesses.

Mais en 1936, à l’époque de la conférence qu’elle prononce devant la Royal Photographic Society, elle a compris que la photographie de studio n’était plus un pilier de l’industrie photo. Les années 1930 verront naître l’âge d’or des magazines sur papier glacé, et la maîtrise de la couleur de Yevonde sera parfaitement traduite par l’impression.

Yevonde savait mieux que quiconque ce que cela signifiait, pour une nouvelle génération de femmes artistes, de prendre son destin en main. Dans son autobiographie, I Might Have been a Success, Middleton écrit : « … dans certains milieux, on déclare librement que George Bernard Shaw a raison, après tout. Le Surhomme est enfin arrivé, en la personne d’une femme moderne. »

John Gielgud dans le rôle de Richard II dans la pièce Richard de Bordeaux © Madame Yevonde
John Gielgud dans le rôle de Richard II dans la pièce Richard de Bordeaux © Madame Yevonde

Yevonde: Life and Colour est à l’affiche jusqu’au 15 octobre 2023 à la National Portrait Gallery de Londres. Le catalogue est publié par le National Portrait Gallery, 49,95 $.

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