« Je n’aime pas le pittoresque », répond Paz Errázuriz, quand elle présente son pays, le Chili. Elle se désole du peu de voyageurs qui l’ont parcouru dans son amplitude, la plupart s’arrêtant à Santiago, sa capitale, ou à Valparaíso à la découverte du poète Pablo Neruda (1904-1973), mort quelques jours après l’assassinat du président Salvador Allende (1908-1973). Elle, elle l’a parcouru du Nord au Sud, sans hâte ; et, pourrait-on ajouter, sans fin comme le précise le titre de son exposition à la Maison de l’Amérique latine et du livre édité par l’atelier EXB, Histoires inachevées. C’est l’un des signes particuliers de cette photographe à la voix si douce, ne pas lâcher son sujet, ne jamais renoncer, tenir tête au temps sans craindre la douleur.
« La photographie est mémoire. Vous êtes responsable de ce moment que vous enregistrez. Parfois, vous l’aimez car ce n’est que joie, parfois c’est une tragédie, et vous voyez la mort… » Elle l’a vue de près avec ses pairs sous le général Pinochet, apprenant à se « faufiler dans les rues avec un tout petit appareil qu’[elle] portait discrètement ». Sa maison de Santiago a été « retournée » par les policiers. Furie de jours d’espérance et de désespoir, comme le décrit La bataille du Chili (1975), le documentaire-événement de Patricio Guzmán proposé sur ARTE jusqu’au 15 août 2026. Paz Errázuriz : « C’était une époque terrible… Il y avait le couvre-feu mais la vie réelle était dans la rue, nous faisions des photos pour combattre la dictature. Il fallait témoigner, c’était un acte militant. Nous étions une communauté de photographes, tous solidaires. C’était aussi comme une école pour moi qui suis autodidacte. Plus tard, j’ai pu tracer mon propre chemin. »
Paz Errázuriz n’a pas poursuivi le photojournalisme, mais s’est engagée vers ce qui lui importait personnellement : « Je n’étais pas intéressée par ce que voulaient les autres, mais par ce que je voulais, moi. J’appartiens à une génération [elle est née en 1944] qui n’a reçu aucune éducation sexuelle, et je voulais découvrir qui étaient ces femmes, prostituées, socialement condamnées.» Ce travail sur les prostituées a changé définitivement sa perception. « J’étais ignorante », dit-elle avec cette sincérité qui irrigue ses photographies comme l’eau de source.
Se pose-t-elle la question de la distance avec ses portraiturés ? « Non. J’ai de longues conversations avec celles et ceux que je rencontre, je reviens les voir, j’apprends. Et j’ai du mal à les quitter, Evelyn et Pilar, les étoiles des petits cirques à la périphérie de Santiago, les amateurs de tango, les femmes emprisonnées, les boxeurs hors du ring, les derniers survivants de l’ethnie Kawésqar… »
Ces séries ont été réalisées entre 1989 et 2019, et, toujours cette femme patiente et obstinée a cherché à comprendre celles et ceux qui lui faisaient face.
En 2016, Paz Errázuriz se rend au Guatemala pour photographier Las Abuelas de Sepur Zarco. Voici des femmes violées et réduites en esclavage par les militaires durant le conflit guatémaltèque (1960-1996). Les regarder est à la fois une épreuve et un passage vers l’un des pouvoirs de la photographie : la confrontation silencieuse.
Paz Errázuriz, Histoires inachevées, à la Maison de l’Amérique Latine, jusqu’au 20 décembre. Commissaire : Béatrice Andrieux ; scénographie : Amanda Antunes. Monographie co-éditée par l’atelier EXB et la Maison de l’Amérique Latine, 176 pp., 45 euros. Textes de Béatrice Andrieux et Marie Perennès. Galerie de Paz Errázuriz : mor charpentier
En savoir plus :
Visiter les trois demeures de Pablo Neruda, Casa Museo Isla Negra, Casa Museo La Sebastiana (Valparaíso), Casa Museo La Chascona (Santiago).
La bataille du Chili, de Patricio Guzmán (1975), 243 mn.
L’un des livres les plus beaux de Neruda : Vaguedivague/Estravagario, Poésie/Gallimard, traduction de Guy Suarès. Page 77 : « Ce que je raconte n’est rien mais cela m’est arrivé lorsque j’attendais un jour je ne sais qui. »