Né dans la ville de Tabriz, au Nord de l’Iran, en 1987, Farshid Tighehsaz fait partie de cette génération qui a grandi après la révolution iranienne de 1979 et la guerre Iran-Irak (1980-1988).
Depuis 10 ans, le jeune photographe documentaire dresse le portrait intime d’une jeunesse et d’une société qui luttent contre la pauvreté et la dépression. Un cri intérieur qui résonne aujourd’hui à travers les manifestations des femmes, des étudiants et de toute une partie de la population.
Son projet Labyrinth a été récompensé par la revue 6Mois qui, pour la 3e édition, décerne le Prix 6Mois du Photojournalisme.
Le Prix 6Mois du Photojournalisme offre une dotation de 10 000 euros pour soutenir les photographes. Que représente cette récompense pour vous ?
J’ai vraiment été bouleversé lorsque j’ai appris la nouvelle. C’est la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma carrière avec le Mentor Program de l’agence VII. Je suis si heureux de voir que la voix de mon projet ait été entendue et honoré de recevoir ce prix prestigieux.
Votre lien avec la photographie est très intime, comment est-elle devenue centrale dans votre vie ?
Enfant, j’étais très timide. Je me suis passionné pour l’observation des étoiles au télescope. Comme mon père était photographe amateur, il y avait toujours un appareil photo à la maison. Observer le monde qui m’entourait à travers un objectif était toujours pour moi une activité fascinante.
En 2011, j’ai eu un premier amour, douloureux. La photographie est devenue ma seule façon d’exprimer cette douleur. Mon premier projet [The Environment of Love] est né. La photographie est à ce moment là devenue pour moi une vocation.
Quels sujets évoquez-vous dans votre projet Labyrinth ?
J’essaie de raconter l’existence à laquelle nous sommes confrontés en Iran. Une vie menée sous l’ombre du régime actuel. Labyrinth explore l’état socio-psychologique des générations post-révolution iranienne, de cette jeunesse réprimée, du chômage galopant et de l’anxiété pour l’avenir. La série évoque l’état émotionnel dans lequel je me trouve, mêlé aux conditions sociales et politiques en Iran.
« J’ai pris ma 354e pilule de Sertraline [antidépresseur] aujourd’hui. » Ce sont les premiers mots de votre introduction à Labyrinth. La dépression est un sujet rarement évoqué en Iran…
L’expression d’un problème mental, comme la dépression, est un tabou. La société considère le problème mental comme une faiblesse de l’individu, provoquant une stigmatisation de la plupart de ceux qui souffrent d’un tel problème. Une grande partie de ce tabou est enracinée dans la culture religieuse de la société iranienne. La dépression est considérée comme un péché dans l’islam.
Depuis le 16 septembre et la mort en prison de Mahsa Amini, Kurde iranienne de 22 ans, accusée par la police des mœurs d’avoir enfreint le code vestimentaire, les manifestations s’intensifient en Iran… Avez-vous la possibilité de couvrir ce soulèvement populaire ?
Non, car en Iran le photojournalisme n’est pas reconnu, ni par le gouvernement, ni par les manifestants. C’est très risqué. Pendant ces manifestations, de nombreux photographes et journalistes ont été arrêtés et sont toujours en prison.
Mais il s’agit d’un mouvement unique et extraordinaire dans l’histoire contemporaine du pays. Le courage des femmes iraniennes est remarquable face à une culture patriarcale.
Vous êtes un photographe en noir et blanc, pourquoi ce choix ?
Parce qu’en noir et blanc, je pense être plus proche de ce que je veux exprimer. Mais il m’arrive aussi de photographier en couleur. C’est le sujet qui détermine le langage photographique.
Quelles sont vos influences ?
La poésie, beaucoup, et mes souvenirs. Les images issues de notre mémoire, je crois que ce sont les influences les plus puissantes en photographie. J’aime aussi beaucoup le cinéma. Le film Biutiful de Alejandro González Iñárritu par exemple.
Abbas, grand photographe iranien, est-il une source d’inspiration ?
Abbas était un merveilleux photographe, une légende. Je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer car j’ai découvert ses photographies trop tard. Abbas et Bahman Jalali ont prodigieusement dépeint les événements de la révolution iranienne de 1979. Aujourd’hui, bien des années plus tard, lorsque je regarde ces photos, je regrette que les gens n’aient pas assez vu ces images à l’époque.
Parvenez-vous à vivre de la photographie en Iran ?
Vivre de la photographie documentaire en Iran est presque impossible. Je me suis battu contre le manque d’argent pendant la moitié de ma vie. Parfois je ne pouvais même pas m’acheter un paquet de cigarettes. J’ai travaillé comme chauffeur de taxi pour vivre et soutenir mon projet.
Parlez-nous de vos autres projets…
Après The Environment of Love, j’ai décrit dans Like Color of Loneliness la disparition soudaine de mon père et les conséquences du deuil sur ma famille. Mon troisième projet, The suicide of butterflies, explore la question du suicide chez les jeunes en Iran.
Comment voyez-vous l’avenir de l’Iran ?
Je ne suis pas un spécialiste du Moyen-Orient. Je sais seulement que la géopolitique de l’Iran et du Moyen-Orient est très importante et que toute perspective future dépend de cette relation.