Présentant presque exclusivement des photographies de femmes, prises par des femmes, l’exposition Our Selves : Photographs by Women Artists, qui a lieu au Museum of Modern Art de New York jusqu’au 2 octobre, attire la curiosité tant par le thème que par la scénographie.
La conservatrice en chef de la photographie, Roxana Marcoci, a fait preuve de créativité pour dynamiser la collection d’Helen Kornblum, tout en y apportant sa vision. En effet, par le biais d’une imagerie calme et d’une scénographie respectueuse, l’exposition met l’accent sur la contemplation sans jamais oublier que, historiquement, les femmes photographes ont dû franchir une frontière ténue entre classicisme et provocation.
Femmes puissantes
L’image lyrique de Justine Kurland, Bathers, 1998, donne le ton de l’exposition et illustre parfaitement la question principale posée : « Comment les femmes artistes ont-elles utilisé la photographie comme outil de résistance ? ». Cette image représente bien l’obsession de Kurland de photographier des jeunes filles à l’orée de la féminité tout en les montrant en pleine maîtrise de leur environnement, comme si elles vivaient dans un monde dépourvu d’hommes.
En contrepoint, la photographie emblématique de Ruth Orkin (en Une) montrant la mannequin Ninalee Craig traversant avec assurance un groupe d’hommes admiratifs à Florence, renvoie directement aux codes de la séduction. L’image semble montée de toutes pièces, mais lorsque Orkin et Craig se rencontrent en 1951 dans le même hôtel à Rome, elles décident de parcourir la ville, de faire du shopping, de visiter les sites touristiques… Quand cette photo est interprétée comme un exemple de machisme, Craig répond : « Cette photographie n’est pas un symbole de harcèlement. C’est le symbole d’une femme qui passe un moment merveilleux… Les hommes italiens apprécient beaucoup. »
En scrutant les œuvres de l’exposition, en ressort l’image de femmes puissantes et pleines d’assurance. Le fait d’être photographiée par une autre femme n’est pas anodin. De Head of a Dancer de Lotte Jacobi (1929), à la puissante Woman de Margaret Bourke-White (1936), en passant par l’artiste Angela Scheirl prise par Catherine Opie (1993), ces images et d’autres encore permettent au spectateur de s’imprégner du thème sans aucune impression de superficialité.
Par moments dans l’exposition, certains sujets reviennent, sans vraiment évoquer la photographie comme outil de résistance : se maquiller en se regardant dans un miroir, des natures mortes assez classiques…
Heureusement, ces redondances sont interrompues par les autoportraits de Lorie Novak, 1987, et le portrait fascinant de Tiny, Halloween, Seattle, 1983, de Mary Ellen Mark, tiré de son étude célèbre sur des sans abri et des jeunes désoeuvrés. On découvre que la photographe américaine a suivi son sujet pendant plus de trente ans, créant ainsi l’un de ses plus importants projets au long cours.
Mais c’est au milieu de l’exposition que le commissariat prend son envol, avec audace. Encadrées par l’image sans doute la plus connue de Carrie Mae Weems, intitulée Untitled (une mère et sa fille se maquillant), 1990, et Sappho and Patriarch, 1984, de Louise Lawler, les œuvres de Cara Romero, Catherine Opie, Jeanne Dunning et Amanda Ross-Ho s’attaquent à la question de la représentation des genres. La scénographie de cette section attire l’attention par son rythme, jouant magistralement avec l’échelle et la couleur.
Se faire une place
Dans la centaine d’images exposées, il y a des moments forts, comme avec Up in the Sky, 1997, de Tracey Moffat, et A Funeral Procession in Jinotepe for Assassinated Student Leaders, 1978, de Susan Meiselas.
Ce n’est qu’à partir de la troisième section de l’exposition, avec la série Exposure de Barbara Probst, qu’un autre fil rouge apparaît. Celui évoquant le médium au service du message. Le projet de probst est troublant et rappelle étrangement le modus operandi de la Stasi, la police politique de la RDA (République démocratique allemande) de 1950 à 1990 dont la mission principale était d’espionner la population.
La déambulation de deux femmes dans une rue de New York, où plusieurs images d’une même scène sont prises simultanément par plusieurs appareils via un système télécommandé, est empreint d’un sentiment d’inquiétude qui fait froid dans le dos.
A travers toutes ces photographies, Our Selves nous montre que les femmes photographes ont dû batailler pour se faire une place dans un milieu traditionnellement dominé par les hommes. Si une seule image devait résumer cette idée, c’est bien celle de Susan Meiselas, Tentful of Marks, Turnbridge, Vermont, 1974 : montrant des hommes obnubilés par les charmes d’une danseuse, dont l’image ne montre que les jambes. En se concentrant sur leurs visages qui observent la danseuse, Meiselas prend définitivement position contre la représentation traditionnelle de la femme.