« Frida Forever n’a jamais été un projet planifié, un concept structuré. Il est né d’un état : j’étais là, j’étais malade, et j’étais photographe – donc, j’ai pris des photos », déclare Frida Lisa Carstensen Jersø. À 14 ans, l’artiste danoise tombe de plus de 4 mètres de hauteur alors que la rambarde d’un pont sur laquelle elle s’appuyait lâche.
Sa chute sur le bitume casse son dos et lèse sa moelle épinière, la laissant paraplégique. En 2018, on lui diagnostique, en parallèle, une anomalie cellulaire qui provoque des formations osseuses dans ses tissus mous. Au fil des ans, elle subit plus de cent interventions chirurgicales, de nombreux traitements médicaux et de la radiothérapie.

Travaillant dur pour regagner son indépendance, c’est naturellement que sa pratique photographique se fond dans son quotidien. Lors d’un exercice sur l’autoportrait, durant ses études à l’École de Photographie de Copenhague, tout d’abord, puis dans tous les aspects de son travail. Des scans et des radiologies viennent côtoyer des images argentiques et numériques plus personnelles.
Partout, le spontané et la mise en scène dialoguent. À la violence d’un corps malmené, blessé, mué par une lente guérison s’opposent des instants de grâce, une fraîcheur guidée par la jeunesse d’un esprit en pleine évolution. « Je voulais capturer l’entière complexité de vivre dans un corps handicapé, pas simplement la réalité crue mais aussi l’intimité, la vulnérabilité. Ces contrastes existent dans un espace à la fois doux et brutal, clinique et personnel, beau et douloureux », affirme-t-elle.


La prison de son propre corps
À travers Frida Forever, Frida Lisa Carstensen Jersø livre un récit viscéral, celui d’une réflexion sur l’authenticité, sur la perte du contrôle et sa réappropriation. Au flash, elle éclaire les blessures et les cicatrices, fait de l’hôpital le décor de son histoire – un espace alternant entre l’ultra-réalisme et la fantasmagorie – et se bat pour visibiliser le corps malade. « Je m’inspire beaucoup de Jo Spence, une photographe britannique qui avait questionné le regard médical en documentant son cancer, mêlant, dans son travail, activisme et exploration de soi. Hannah Wilke, quant à elle, a abordé les idéaux de beauté du corps féminin durant sa bataille contre le cancer. C’était au cœur d’un projet qui, malgré la gravité de son sujet, était plein d’humour », raconte-t-elle.
Et, comme une évidence, l’artiste cite Frida Kahlo, avec qui « [elle] ne partage pas qu’un prénom ». « Nous avons toutes deux subi une blessure à la colonne vertébrale, enduré de longs séjours à l’hôpital, lutté contre des infections, survécu à des amputations », rappelle la photographe. Tout comme la peintre mexicaine, Frida Lisa Carstensen Jersø met en scène la prison de son propre corps, l’aliénation face à soi-même, la souffrance intime comme un combat universel. « Sa capacité à allier réflexions personnelles et politiques me parle énormément », assure-t-elle. Un sujet aux aspirations radicales résolument contemporaines « qui ont et continueront d’influencer [s]on langage visuel ».



Et si Frida Forever s’inscrit, de manière pérenne, sous la forme d’un ouvrage, la photographe entend prolonger – « comme le titre du livre l’indique » – la documentation de son quotidien. « C’est une étape, et non un point final », conclut-elle.
Frida Forever est disponible chez Diskobay au prix de 40€.
