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Gabriele Münter et Eudora Welty, d’abord la photographie

À Montpellier, l’exposition « Au début, la photographie » rassemble les travaux de Gabriele Münter et Eudora Welty, qui se sont toutes deux essayé à la photographie avant de devenir respectivement peintre et écrivaine. Une plongée dans deux œuvres méconnues, circonscrites à un territoire géographique commun : le sud-est américain.

Texas, été 1900. En robe blanche ou costard noir, de jeunes gens dévorent une gigantesque tranche de pastèque en dévisageant l’objectif. « A smiling watermelon », indique le titre, malicieux. Quelques mètres plus loin, comme un écho près de trente ans plus tard, c’est le même fruit que déguste un autre petit groupe sur les marches du palais de justice de Pontotoc, dans le Mississippi cette fois. Pastèques, habits du dimanche, scènes du quotidien : ce ne sont que quelques-unes des nombreuses correspondances qui émaillent les œuvres de Gabriele Münter, autrice du premier cliché, et Eudora Welty, qui signe le second.

Jusqu’au 29 septembre au Pavillon populaire de Montpellier, l’exposition « Au début, la photographie » rend un bel hommage à ces deux artistes, qui ont toutes deux en commun d’avoir puisé leurs inspirations créatrices dans la photo, avant de s’accomplir ailleurs. 

Gabriele Münter. Garçons jouant entre Abilene et le lac d’Abilene le jour de notre départ, Texas, 17 mai 1900,. Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich. © ADAGP, Paris, 2024
Gabriele Münter. Emmy, the donkey, Fred, Johnnie, Dallas, our room, Guion, Texas, Février, Mars 1900). Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich. © ADAGP, Paris, 2024 

Née en Allemagne en 1877, Gabriele Münter est une peintre reconnue : elle participe notamment à fonder le mouvement expressionniste « Der Blaue Reiter » (« Le Cavalier bleu »). « Une autodidacte, touche-à-tout », la décrit Isabelle Jansen, directrice et conservatrice de la fondation Gabriele Münter à Munich, et commissaire de l’exposition. « Qu’il s’agisse d’une langue étrangère comme d’une technique picturale ou photographique, Gabriele Münter s’approprie tout très rapidement ! ».

A l’aube du 20e siècle, celle qui partagera la vie de Vassily Kandinsky effectue un voyage dans le sud-est des États-Unis pour rendre visite à une partie de sa famille. C’est l’occasion d’une traversée de plusieurs états (Missouri, Arkansas, Texas), lors de laquelle elle documente ce qui la surprend. « Sa pratique, réfléchie, vient démentir le cliché de l’artiste femme spontanée, guidée par ses instincts », précise Isabelle Jansen. « Ce périple initiatique la confronte à un véritable choc des cultures : ce sont ces découvertes qu’elle tente d’immortaliser, qu’elles concernent les paysages, les grandes villes, les progrès techniques, les modes de vie, les inégalités entre communautés… » 

Gabriele Münter. Femme à l’ombrelle sur la rive haute du Mississippi, près de St. Louis, Missouri, Juillet-Septembre 1900. Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich. © ADAGP, Paris, 2024
Gabriele Münter. Petit garçon au chapeau sur une véranda, Marshall, Texas, Mai-Juin 1900. Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich. © ADAGP, Paris, 2024
Gabriele Münter. Petite fille dans une rue. St. Louis, Missouri, juillet-septembre 1900 – Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich © ADAGP, Paris, 2024

Eudora Welty, quant à elle, fait partie de ces êtres qui considèrent que « toute audace sérieuse vient de l’intérieur », comme elle l’écrit dans ses Mémoires. Un mantra fertile pour cette écrivaine, lauréate du prix Pulitzer (en 1973, pour son roman La Fille de l’optimisme) mais qui se rêvait initialement photographe. « Sa pratique témoigne d’une ouverture sur le réel qui nourrira ensuite toute son œuvre littéraire », analyse Gilles Mora, commissaire de l’exposition et directeur artistique du Pavillon populaire. « C’est une photographe de désir, qui obéit à ses pulsions et son œuvre est traversée par cette sensualité, cette attention au corps, notamment féminin. » C’est dans le patrimoine, les traditions locales de ce Mississippi qui l’a vue naître, qu’elle puisera son inspiration. Elle ne se lassera pas de documenter les aspérités, contradictions et moments de grâce d’une région marquée par une pauvreté endémique et un racisme structurel. 

Fond violet pour Münter, jaune pour Welty ; la scénographie de l’exposition témoigne d’une volonté de division parfaitement symétrique. L’espace est équitablement partagé, dans un jeu de miroirs qui souligne autant les résonances que les contrastes. Le parcours débute par le travail de Gabriele Münter. La photographie n’aura représenté qu’une fraction de sa longue carrière – deux ans tout au plus, le temps d’un voyage où la jeune femme était profondément libre, vierge de toute influence ou formatage. Ce sont ses proches, surtout, qu’elle capture dans des clichés pris sur le vif ou des portraits en intérieur, plus posés, témoignant déjà d’un intérêt pour la composition.

Eudora Welty. Mardi Gras dans une rue de la Nouvelle-Orléans, 1935 ; “On New Orleans Street Mardi Gras, 1935”. Reproduit avec l’autorisation du Mississippi Department of Archives History et de Russell & Volkening en tant qu’agents de l’auteur © 2024 Eudora Welty & Eudora Welty, LLC.
Eudora Welty. Le Crystal Springs, 1930s ; “Crystal Springs, 1930s”. Reproduit avec l’autorisation du Mississippi Department of Archives History and Russell & Volkening © 2024 Eudora Welty & Eudora Welty, LLC.

Une organisation en sections thématiques tente de restituer combien cette artiste insatiable a tout essayé. Photographier l’enfance : un bambin au large sourire qui en charrie trois autres sur le dos, tous munis de larges chapeaux. Documenter les innovations techniques : un parc d’attraction (« Montagnes russes à Saint-Louis »), ou les cordages d’un bateau à vapeur sur le Mississippi. Capturer le mouvement : cet ours dressé qui boit à la bouteille, ou cet enfant qui traverse la rue. Surtout, sont disséminées çà et là, comme autant de graines annonciatrices, les prémices de sa carrière de peintre : certains clichés sont doublés de croquis qui attestent d’un coup de crayon déjà bien aiguisé.

C’est une démarche plus intuitive et instantanée que celle d’Eudora Welty. Souvent moteur du déclenchement de l’objectif, les femmes sont un motif récurrent de son travail. Elle en magnifie les poses, les corps – comme dans « Le Porche », cliché d’une femme noire lascivement accoudée à sa balustrade – en documente régulièrement la condition. De manière générale, son travail s’attache aux marges de ce territoire marqué par le chômage et la Grande Dépression des années trente. Son regard sur cet ancrage local est aussi tendre que lucide. De ses clichés, transparaissent l’empathie, l’attention à l’autre : une petite fille qui tient un cochon d’inde dans les bras, cinq jeunes femmes costumées en oiseaux à l’occasion d’une parade, un camion de travailleurs après la cueillette de tomates.

Eudora Welty. Le Promeneuses, années 1930 ; “Promeneuses”. 1930s. Reproduit avec l’autorisation du Mississippi Department of Archives History et Russell & Volkening © 2024 Eudora Welty & Eudora Welty, LLC.
Eudora Welty. Le Porche, 1930s ; “The Porch”. 1930s. Reproduit avec l’autorisation du Mississippi Department of Archives History et Russell & Volkening © 2024 Eudora Welty & Eudora Welty, LLC.

Il n’y a pas toujours de sujets humains : ici un filet de pêche ; là une cabane flottant sur l’eau ; l’entrée d’un théâtre, réservée aux « gens de couleur ». Mais partout, la même inscription dans l’environnement, le tissu social, et la même attention à l’instant présent – « One Time, One Place », comme elle nommera l’un de ses albums. 

« Il est rare que des artistes femmes, connues pour d’autres pratiques artistiques, aient toutes deux commencé par la photographie », pointe encore Gilles Mora. « Ces deux pionnières partagent en plus le même goût pour les foires, la fête, le même appétit de vie…Et le même territoire ; un vrai coup de bol ! » En 1989 déjà, Gilles avait organisé une rétrospective consacrée à Eudora Welty à Arles, participant à faire connaître ses clichés sur le sol français. Au printemps prochain, c’est le musée d’art moderne de Paris qui prépare un grand retour sur l’œuvre picturale de Gabriele Münter. Jusqu’ici, on ne savait pas qu’elle a été photographe : passer par Montpellier peut donc servir de hors d’œuvre bienvenu. 

Eudora Welty. Fayette, 1930s ; “Fayette / 1930s”. Reproduit avec l’autorisation du Mississippi Department of Archives History et de Russell & Volkening © 2024 Eudora Welty & Eudora Welty, LLC.

« Gabriele Münter, Eudora Welty – Au début la photographie » est à voir au Pavillon Populaire de Montpellier jusqu’au 29 septembre 2024.

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