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Gordon Parks, résurgence de la lutte des Noirs aux Etats-Unis

Publié à l’origine en 1971, Born Black de Gordon Park a été le premier livre à réunir à la fois les écrits et les photographies de l’Américain. L’ouvrage se concentre sur le travail du photographe, qui documente alors une décennie cruciale pour les mouvements des droits civiques et le Black Power. Une nouvelle édition augmentée et une exposition révèlent des photographies inédites, des documents d’archives et de nouveaux essais scientifiques.

A New York en 1970, Gordon Parks écrit l’introduction de la première édition de son livre Born Black. Il raconte: « Au cours des dix dernières années, les Noirs américains ont transformé 400 ans de désespoir et d’oppression en une ère de rébellion et d’espoir. Ce fut une décennie turbulente, remplie de manifestations, d’émeutes, d’attentats à la bombe et de morts violentes ; une période au cours de laquelle nous, les Noirs, avons uni nos forces pour nous mutiner contre un destin commun. Les symboles et les images blanches qui ont si longtemps défiguré nos esprits et notre noirceur sont en train d’être abandonnés par cette même noirceur. Et c’est clairement la révolte qu’il a fallu employer pour modifier la conduite de ce pays à notre égard. Aujourd’hui, nous commençons à savoir qui nous sommes, ce que nous représentons pour l’Amérique – et ce que l’Amérique représente pour nous. »

Martin Luther King Jr. lors de la marche sur Washington, Washington, D.C., 28 août 1963 © The Gordon Parks Foundation
Martin Luther King Jr. lors de la marche sur Washington, Washington, D.C., 28 août 1963 © The Gordon Parks Foundation

Co-publié par Steidl et la Gordon Parks Foundation, Born Black vient d’être réédité dans une édition élargie. Le livre contient neuf essais photographiques de Gordon Parks réalisés entre 1963 et 1970. Les histoires, sélectionnées par Parks, incluent son regard sur la prison d’État de San Quentin, la documentation du mouvement musulman noir et des Black Panthers, des commentaires sur la mort des leaders des droits civiques Malcolm X et Martin Luther King, Jr, des études intimes de Stokely Carmichael, Muhammad Ali et Eldridge Cleaver, ainsi que son travail de documentation sur la vie quotidienne de la famille Fontenelle à Harlem. Tous ces articles avaient été commandés par le magazine LIFE

Le livre original comportait également des commentaires de Parks lui-même, ainsi que ses récits personnels. Cette nouvelle édition augmentée comprend l’intégralité du texte et des photographies d’origine, mais aussi des photographies supplémentaires, des extraits de la publication de 1971, des correspondances, les reproductions des articles de LIFE et de nouveaux essais qui explorent davantage l’œuvre et la vie de Parks, ainsi que le contexte de la publication d’origine.

L’histoire du livre commence en 1967, lorsque Parks reçoit une lettre de sa rédactrice littéraire, Genevieve Young, qui lui donne quelques conseils sur la rédaction du texte qui accompagnera son article sur la famille Fontenelle dans LIFE. « L’appareil photo peut montrer, avec une vivacité inégalée, les faits, le présent, le tangible. Mais seuls les mots peuvent transmettre le réseau de pensées et d’émotions, l’influence du passé, les craintes et les espoirs pour l’avenir, toutes les choses qui entrent dans la manière dont un individu affronte son monde », a écrit Young, comme le racontent Peter W. Kunhardt, Jr. et Michal Raz-Russo dans leur introduction. Son travail, disait Young, consistait à « montrer, pas à raconter ; à dramatiser, pas à faire la leçon ».

Muhammad Ali, Miami Beach, Floride, 1966 © The Gordon Parks Foundation
Muhammad Ali, Miami Beach, Floride, 1966 © The Gordon Parks Foundation
Malcolm X lors d'un rassemblement, Chicago, Illinois, 1963 © The Gordon Parks Foundation
Malcolm X lors d’un rassemblement, Chicago, Illinois, 1963 © The Gordon Parks Foundation
Harlem Rally, Harlem, New York, 1963 © The Gordon Parks Foundation
Harlem Rally, Harlem, New York, 1963 © The Gordon Parks Foundation

Avant Born Black, Gordon Parks avait déjà écrit deux livres, à savoir The Learning Tree et A Choice of Weapons. Il connaissait donc très bien le pouvoir de l’écriture.

Mais Born Black n’est pas autobiographique comme ses autres livres. Il a plutôt donné à Parks l’occasion non seulement de revenir sur ses collaborations avec le magazine LIFE au cours de la décennie précédente, marquée par de grands changements sociaux, mais aussi d’écrire sur son expérience de ce travail et d’examiner l’importance des histoires visuelles qu’il a produites pour l’hebdomadaire.

Comme le souligne Nicole R. Fleetwood dans son essai: « Born Black offre une vision intime de la pensée de Parks alors qu’il navigue entre son rôle de documentariste de l’expérience noire pour un public blanc et grand public à travers LIFE, son ambivalence à l’égard de l’activisme radical des Noirs et ses préoccupations quant à l’avenir des Noirs américains. Il révèle à la fois son espoir pour l’avenir des Noirs et son appréhension quant à la persistance de la discrimination et de la violence anti-Noirs. »

Stokely Carmichael au rassemblement de Watts, Will Rogers Park, Los Angeles, Californie, 26 novembre 1966 © The Gordon Parks Foundation
Stokely Carmichael au rassemblement de Watts, Will Rogers Park, Los Angeles, Californie, 26 novembre 1966 © The Gordon Parks Foundation

La vision complexe qu’a Gordon Parks de la décennie couverte par le livre n’est pas surprenante. Cette période a été marquée par des changements sociaux et politiques tout aussi complexes, comme le montre son travail à travers les aspects de la vie et de la culture afro-américaines qu’il a couverts. Au début des années 1970, les noms des leaders décédés se sont multipliés, le mouvement Black Power a été attaqué de toutes parts et des icônes ont été emprisonnées. Les Afro-Américains ont ainsi beaucoup souffert.

Comme Gordon Parks l’écrit lui-même dans son post-scriptum : « Regardez en arrière et passez le carnage au crible : Malcolm X est mort ; Martin Luther King est mort ; la grande promesse de Stokely Carmichael a été anéantie ; Muhammad Ali a été détrôné ; Norman Fontenelle est mort ; son fils Kenneth est mort ; Eldridge Cleaver et les Black Panthers vivent sous la menace constante de la mort. »

Certains diront que la décennie qui s’achève a été tout aussi traumatisante. Il y a 10 ans, Eric Garner et Michael Brown ont été tués par des policiers blancs. Le mouvement Black Lives Matter a pris de l’ampleur et s’est répandu dans toute l’Amérique à la suite de leur mort et de celle de nombreuses autres personnes. Le premier président noir de la nation a été remplacé par un homme qui est l’anthèse de tout ce que la présidence d’Obama avait espéré accomplir. La pandémie de Covid a bouleversé les Etats-Unis d’innombrables façons, avec le décès de dirigeants communautaires, de membres familiaux et d’amis. La politique a été dévoyée à bien des égards, car les normes ont été balayées. Et à l’approche de l’élection présidentielle de cette année, les enjeux sont considérables.

Harlem, New York, 1963 © The Gordon Parks Foundation
Harlem, New York, 1963 © The Gordon Parks Foundation

Comme l’écrit Mme Fleetwood à la fin de son essai, le moment est venu de se pencher sur l’œuvre de Gordon Parks et sur le fait qu’elle tend un miroir qui peut à la fois montrer ce qui a changé et ce à quoi l’Amérique est toujours confrontée en tant que nation. « Grâce à la justesse de son appareil photo et de son stylo, Parks laisse un document historique émouvant et sombre sur sa vision des luttes pour la liberté des Noirs. La réédition de Born Black en ce moment historique est aussi importante que sa publication initiale en 1971, car Gordon Parks reste l’un des témoins et chroniqueurs les plus précieux de notre nation, du chemin parcouru et de celui qu’il lui reste à parcourir. »

Born Black : A Personal Report on the Decade of Black Revolt 1960-1970, coédité par Steidl et la Gordon Parks Foundation, 58€, disponible ici.

Une exposition de photographies tirées de Born Black est présentée à la Jack Shainman Gallery à New York jusqu’au 20 avril.

Une exposition intitulée « American Gothic : Gordon Parks et Ella Watson » est présentée jusqu’au 23 juin au Minneapolis Institute of Art.

Le 21 mai prochain, la Gordon Parks Foundation organise son gala annuel. Ce gala, qui réunit des personnalités du cinéma, de la musique, des arts visuels, du monde des affaires et de la philanthropie, mettra à l’honneur l’athlète et activiste Colin Kaepernick, la célèbre artiste Mickalene Thomas et l’activiste des droits civiques et ancienne présidente de la NAACP Myrlie Evers-Williams, veuve de l’activiste des droits civiques Medgar Evers. Alicia Keys, chanteuse, compositrice, musicienne, productrice et actrice seize fois récompensée par des GRAMMY®, et Kasseem Dean (alias Swizz Beatz), producteur, rappeur et compositeur récompensé par des GRAMMY®, seront récompensés en tant que mécènes des arts.

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