L’extraordinaire peintre et photographe provocateur Guy Bourdin (1928-1991) a révolutionné la photographie publicitaire grâce à sa collaboration historique avec le créateur de chaussures Charles Jourdan. De 1967 à 1979, il va créer une nouvelle vision de la femme: c’est une femme libérée, parfois fatale, avec une touche disco. Les images de Bourdin manient l’érotisme, le fétichisme, le surréalisme, le danger et le désir dans les scènes fantaisistes où elle apparaît.
Au travers de ses publicités, Guy Bourdin a ainsi élevé la chaussure au rang de vedette. Une sorte de talisman du pouvoir, du luxe et de l’allure. Ces photographies-là sont devenues uniques dans le genre. Bourdin est également passé de la photographie au cinéma sans trop de difficulté. Il a mis en scène des scènes dramatiques et à suspense dans le pur style d’Alfred Hitchcock, ou a inspiré des thrillers néo-noir comme le film culte The Eyes of Laura Mars (Les yeux de Laura Mars), sorti en 1978.
Dans le nouveau livre intitulé Guy Bourdin pour Charles Jourdan, publié chez Rizzoli, l’auteur Patrick Remy revisite ce chapitre de l’histoire de la photographie avec le panache et l’aplomb d’un homme dont l’amour de toujours pour ces images scintillantes raconte une histoire à part entière. En effet, au cours de l’été 1973, Patrick Remy, alors âgé de 13 ans, passe les vacances à Veules-les-Roses en Normandie. Il y aperçoit un photographe qui arrive en voiture, accompagné de mannequins, d’une maquilleuse, d’une coiffeuse, et de chaussures… de superbes chaussures. Les séances de photos s’enchaînent pendant des heures, pour le plus grand plaisir du jeune adolescent.
« J’étais fasciné par ce ballet des corps, ces mises en scène minimales avec la plage de galets, le bleu de la mer et du ciel en toile de fond, et surtout l’estacade, la jetée en bois où nous passions la majeure partie de l’été à traîner et parfois à plonger », écrit Rémy dans le livre.
Il retourne à Paris, où il découvre alors Bourdin, qui maîtrise l’espace public avec la vision du peintre. Un peintre qui a été dans sa jeunesse apprenti du génial surréaliste Man Ray. C’est là que l’aventure débute vraiment.
Chic mystique
C’est aussi à Paris que Guy Bourdin rencontre Charles Jourdan. Guy Bourdin restera simple. Il ne va pas faire de compromis. Il va garder un contrôle total, non seulement des images des campagnes, mais aussi de leur emplacement sur les pages de magazines.
Charles Jourdan s’avérera être le collaborateur idéal pour Bourdin, lui offrant l’espace nécessaire pour transformer le langage de la publicité de mode en véritable art. Peut-être la chaussure n’est-elle qu’un indice dans un mystère inexpliqué, un appel à quelque chose d’audacieux, de tabou ou de tout simplement coquin. Cette idée arrivera à point nommé, dans le tourbillon fiévreux de la révolution sexuelle, qui suivra le Summer of Love, en 1967.
Pour ses campagnes publicitaires, Bourdin a beaucoup pris la route. Cap vers la Grande-Bretagne, la Normandie, l’Amérique aussi, New York, Los Angeles, puis une traversée du Texas, de la Louisiane et de la Floride. Le chatoiement de l’Amérique des années 1970 et son mélange de sexe et de violence s’avèrent être l’endroit idéal pour les images parfois radicales de Bourdin. Elle feront rapidement de nombreux adeptes.
« C’était comme si nous ne publions pas de la publicité, mais un roman de poche ou une bande dessinée… les gens étaient avides de voir ce qui allait suivre », déclarera Gérard Tavenas, directeur de la publicité chez Jourdan, au New Yorker en 1994.
Au fil du temps, les lecteurs de magazines n’ont pu que se défaire des transgressions décadentes de Guy Bourdin qui revenaient chaque mois. Et le photographe est devenu une référence. Ses images sont aujourd’hui une invitation à entrer dans un monde où les artistes fixent bien les règles – et personne d’autre.
Guy Bourdin pour Charles Jourdan est publié par Rizzoli et disponible au prix de 75 $.