Hannah Wilke, S.O.S. Starification Object Series, 1974. Collection de Michael et Sharon Young, avec l’aimable autorisation de Alison Jacques, Londres © 2021 Scharlatt Family, Collection & Archive Hannah Wilke, Los Angeles / Licence de VAGA à Artists Rights Society (ARS), NY
Bien avant la vogue du selfie, l’artiste américaine Hannah Wilke (1940–1993), originaire de New York, a compris l’importance d’exploiter l’auto-représentation en photographie. A 14 ans, seulement vêtue de l’étole en vison de sa mère et d’escarpins blancs, elle réalise un autoportrait devant un mur où est inscrit son nom de naissance, Arlene H. Butler — au cas où personne ne saurait qui elle est.
« Je deviens mon art, mon art devient moi…. Mes sentiments sont difficiles à gérer, mon art l’est aussi », écrit Hannah Wilke dans une lettre publiée en 1975 dans l’ouvrage Art : A Woman’s Sensibility (California Institute of the Arts). C’est en exhibant son corps qu’elle se fait connaître, consciente de la transgression que représente cet acte. À la fois photographe, sculpteur, vidéaste, et artiste de scène, Hannah Wilke a tourné son objectif sur elle même et crée un art qui pourrait s’assimiler à un test de Rorschach pour le spectateur – l’admiration et la critique révélant plus de choses sur lui que sur l’œuvre qu’il regarde.
Hannah Wilke est emblématique d’une époque révolutionnaire qui voit le Mouvement de libération de la femme prendre de l’ampleur. Son travail constitue un nouveau regard sur la relation entre le féminisme, l’art, et le rôle de la femme dans la société. Il propose une iconographie centrée sur le corps et le plaisir féminin, en un temps où de tels sujets sont tabous, et demeurent en marge d’une histoire de l’art placée sous la domination des hommes.
Hannah Wilke: Art for Life’s Sake, première grande présentation du travail de l’artiste depuis plus de dix ans, rassemble plus de 100 œuvres iconiques et rarement montrées, comprenant des œuvres sur papier, des photographies, des vidéos et des sculptures. L’exposition porte un regard fascinant sur l’iconographie profonde et provocatrice qu’a développée Hannah Wilke, dont l’influence se ressent pleinement quelques trois décennies après sa mort prématurée des suites d’un lymphome.
Le privé est politique
« Depuis 1960, je m’intéresse à la création d’une imagerie formelle spécifiquement féminine, un nouveau langage où l’esprit et le corps fusionnent en objets érotiques que l’on peut nommer, et qui sont malgré tout assez abstraits. Son contenu a toujours été en rapport avec mon propre corps et mes sentiments », écrit Hannah Wilke en 1976, dans une demande de bourse à la fondation Guggenheim.
Hannah Wilke invente le terme « autoportrait performatif » pour décrire ses propres œuvres ainsi que celles qui mettent en scène un modèle – et c’est le modèle alors qui est l’artiste et qui a le contrôle des droits, un point de vue partagé par de nombreuses célébrités qui sont aujourd’hui des marques à part entière. Attirante, selon les normes, Hannah Wilke fait l’objet de critiques de la part de ceux qui croient flairer le narcissisme et l’auto-exploitation dans ses exhibitions. « On me dit des conneries du genre : ‘Qu’auriez-vous fait si vous n’étiez pas si incroyablement belle ?’ Quelle différence cela fait-il ? » déclare Hannah Wilke à Marvin Jones en 1985. « Les gens beaux meurent, tout comme les ‘laids’ stéréotypiques. Tout le monde meurt.’ »
Propos poignants et prémonitoires, si l’on considère ce que la vie réservait à Hannah Wilke, et les conséquences que cela aurait sur son œuvre. Elle réalisera une série de photographies intitulée « Intra-Venus, » représentant sa mère luttant contre un cancer, puis elle-même, atteinte du même mal. Cette série a été présentée un an après sa mort à la galerie Ronald Feldman. Tandis que le spectre de la mort se profile dans ces images, Hannah Wilke nous rappelle que le courage appartient à tous.
Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment Time, Vogue, Aperture, et Vice.
Hannah Wilke : Art for Life’s Sake, jusqu’au 16 janvier 2022, Pulitzer Arts Foundation, 3716 Washington Blvd, St. Louis, MO 63108, YSA