Un couple de peluches enlacé devant un cadre, un regard clair fixé dans un rayon de soleil, une table de travail. Les clichés rassemblés dans « L’Image de soi » sont autant de portraits qui, ensemble, rappellent non seulement le visage de leur auteur, Hervé Guibert, mais dessinent aussi les contours de son monde intérieur. « C’est une exposition particulière puisqu’elle se fait à l’occasion du 30e anniversaire de sa disparition », explique Françoise Morin, la directrice de la galerie.
Le 27 décembre 1991, Hervé Guibert s’éteignait des suites du Sida. Il avait 36 ans. Certains le connaissent avant tout comme l’auteur de La Mort propagande, Fou de Vincent ou encore À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, d’autres sont plus familiers de son travail photographique.
Mais Hervé Guibert a aussi mis sa plume au service du journal Le Monde, de 1977 à 1985, contribuant à ce que d’aucuns perçoivent comme l’âge d’or de la critique photographique en France. Sa femme, Christine Guibert, se souvient que c’était un hasard : « Hervé s’était présenté à la rédaction alors qu’Yvonne Baby, la cheffe du service culture, était en vacances. Le remplaçant a passé son article. Yvonne Baby l’a vu et à son retour, elle lui a proposé de s’occuper soit du jazz, soit de la photo. Il a choisi la photo où tout était à faire. »
À l’époque, Hervé Guibert rêvait plus volontiers de cinéma et n’avait jamais écrit sur la photo. Le champ était encore neuf, comme le rappelait Christian Caujolle, qui officiait à la même époque à Libération, lors d’une conférence organisée le 7 décembre dernier par la Fondation Henri-Cartier-Bresson.
Entre les deux critiques se noue une amitié teintée de concurrence. « La bataille dans nos journaux, c’était la bataille pour l’espace. Le corpus sur lequel nous écrivions dépendait de ce qui était montré et publié. Nous ne décidions pas ! L’enjeu, c’était de faire partager ce qui à l’époque n’était pas reconnu. Hervé était très clairement un écrivain qui écrivait sur la photographie. Moi, je venais du journalisme, j’étais un passeur. »
Pour preuve de la qualité littéraire des articles d’Hervé Guibert, il suffit d’ouvrir au hasard La Photo, inéluctablement, le recueil de ces papiers paru chez Gallimard en 1999. Brassaï, Klein, Cartier-Bresson, Sander, Arbus, Capa, Avedon, Doisneau, Faucon, Koudelka, Atget… De grands noms qui ont roulé sous sa plume, d’immenses images convoquées par ses mots. Mais parfois, en filigrane, c’est lui-même qu’Hervé Guibert dépeint dans ses chroniques.
Une autre forme d’autoportrait pourrait-on dire, au même titre que ceux rassemblés dans l’exposition. Peut-on vraiment s’en étonner tant l’autofiction, cette propension à tisser le récit d’éléments réels et imaginaires, à relater la vie à la lueur du fictif, est au cœur de son œuvre ? Ainsi écrit-il à propos d’André Kertész : « Il faut de l’imagination pour voir la réalité. »
Lorsqu’il s’engage dans le monde de la critique, Hervé Guibert a déjà une pratique du médium. « La photographie a toujours accompagné l’œuvre d’Hervé Guibert. L’écrit n’a pas mené la photo – ou inversement – par quelque hasard ou intérêt ; tous deux ont participé de conserve à la construction d’un artiste et sont nés de son obsession de l’image », rappelle l’écrivain Jean-Baptiste Del Amo en préambule de l’ouvrage « Hervé Guibert Photographe », éd. Gallimard. Un lien que confirme son épouse, « il y a une sorte de parallélisme entre l’image et le texte. Deux formes différentes qui se complètent. »
Son activité de critique a-t-elle influé sur sa pratique ? Difficile de le dire. Christine Guibert note tout de même qu’« à force de se frotter aux autres photographes, de voir comment photographient Kertész, Cartier-Bresson… petit à petit on se forme aussi l’œil. Sa position à la fois de critique et photographe ne le mettait pas forcément à l’aise ».
Ce statut de photographe, Hervé Guibert ne l’a pas forcément brandi. « C’est un peu comme son attitude vis à vis de son homosexualité, » se souvient Christine Guibert. Il ne l’a jamais revendiquée, il ne l’a jamais cachée non plus. Il est photographe parce qu’il prend des photos et que ça fait partie de son œuvre. C’était naturel. »
Il en va de même pour les contacts qu’Hervé Guibert a pu nouer par son travail de critique. « Quand vous parlez à Agathe Gaillard [la première galeriste spécialisée en photo à Paris], elle vous dit qu’au début, Hervé Guibert rentrait à la galerie uniquement en sa qualité de critique. C’est après qu’elle a appris qu’il faisait lui-même des photographies », témoigne Françoise Morin. Lorsqu’elle découvre le travail du critique au moment de sa première exposition et de la publication de son roman-photo Suzanne et Louise mettant en scène ses deux grandes-tantes, Agathe Gaillard décide de l’exposer.
A la fois galeriste et amie, elle le représentera jusqu’à ce qu’elle passe le flambeau à Françoise Morin. L’exposition présentée actuellement à Les Douches la Galerie est la troisième depuis cette passation. Elle rassemble les derniers tirages d’époque des autoportraits sélectionnés par Hervé Guibert. « Sur chaque planche contact, il a choisi les photos qu’il souhaitait tirer, explique Christine Guibert qui travaille main dans la main avec Françoise Morin.
Je n’ai absolument pas modifié ce travail, même si certaines photos paraissent intéressantes. Pourquoi n’a-t-il pas pris celle d’avant ou celle d’après ? C’est ça qui fait que c’est un photographe, c’est son choix. »
Par Laure Etienne
Laure Etienne est une journaliste basée à Paris, ancienne membre de la rédaction de Polka et ARTE.
« Hervé Guibert, l’image de soi », exposition à Les Douches la Galerie, 5, rue Legouvé (Paris 10e), jusqu’au 5 février 2022.
Pour aller plus loin : Hervé Guibert, la mort propagande, un film documentaire de David Teboul montrant de nombreuses photos et planches contact.