Ce dimanche 6 août, alors que des millions de personnes affluent pour voir Oppenheimer, nouveau biopic de Christopher Nolan qui narre l’histoire du « père de la bombe atomique », le Japon commémore les soixante-dix-huit ans des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Encore aujourd’hui, les vies des « hibakusha », les survivants, sont impactées par les effets des radiations. Dans « Hiroshima Graph – Everlasting Flow », Yoshikatsu Fuji retrace l’histoire d’Hiroshima à travers les souvenirs de sa grand-mère hibakusha.
Après la bombe
6 août 1945, 8h15 du matin. Un avion survole Hiroshima. Rien d’inhabituel, les bombardiers américains passent souvent au-dessus de la ville pour se rendre plus au nord. Pourtant ce matin, cet avion transporte une bombe atomique à l’uranium 235 d’une puissance de 15 kilotonnes, surnommée Little Boy.
Après 43 secondes de chute libre, c’est l’explosion. Un bruit sourd, une lumière aveuglante, et tout est rasé. C’est le chaos, les cris, la douleur, la destruction. 75 000 personnes meurent sur le coup, brûlées, ensevelies ou blessées par l’onde de choc. Sur plusieurs kilomètres, un immense champignon atomique engloutit la ville dans une tempête de feu. Des flammes étouffées quelques heures après l’explosion par une pluie noire. D’Hiroshima, il ne reste qu’un champ de ruines surplombé d’un nuage de fumée.
Dans cette tragédie, seulement quelques survivants échappent miraculeusement à la mort. Parmi eux, la grand-mère de Yoshikatsu Fuji. Ce jour-là, elle n’est qu’à 1,2 km de l’hypocentre de l’explosion. Elle perçoit le bruit d’un avion en vol, une intense lumière l’éblouit et elle perd connaissance. Lorsqu’elle se réveille, sa maison est entièrement brûlée et le côté gauche de son corps transpercé de verre de fenêtres brisées. Comme énormément de survivants, la grand-mère de Yoshikatsu n’a jamais raconté ce qu’elle a vécu.
Contre le silence et l’oubli
Né et élevé dans la ville d’Hiroshima, Yoshikatsu Fujii grandit avec la mémoire de la bombe. Il entend divers témoignages de survivants, souvent dans des programmes d’éducation à la paix, sans jamais connaître ceux de ses proches. Naturellement, lui et ses camarades observent une minute de silence chaque matin du 6 août.
En 2000, alors qu’il part étudier l’art à Tokyo, il réalise que pour les gens qui l’entourent, cette journée est sans importance. « Cela a provoqué chez moi un petit choc et un sentiment de gêne », avoue-t-il. « J’ai commencé à penser qu’un jour, j’aimerais créer une œuvre d’art sur les bombardements atomiques et la diffuser. »
15 ans plus tard, Yoshikatsu Fujii s’installe à Hiroshima pour créer la série de livres « Hiroshima Graph », qui se concentre sur les témoignages historiques et les trajectoires des personnes qui ont vécu dans la ville. Pour montrer aux générations futures la réalité de la bombe et de la guerre, Yoshikatsu Fujii entreprend de recueillir les souvenirs de sa grand-mère. Elle lui montre ses albums photos. Restés dans la maison d’un parent durant l’explosion, ils ont eux-aussi été sauvés.
Yoshikatsu Fujii se plonge dans les photos d’enfance qui racontent le monde d’avant, sans la bombe. Il sait qu’à mesure que sa grand-mère vieillit, ses souvenirs s’effacent. Ses cicatrices d’hibakusha se confondent avec ses rides. Pour leur redonner vie et les graver à jamais sur le papier, il modifie les photos avec des produits chimiques, les scanne à nouveau et les superpose numériquement à d’autres images. « Je voulais montrer les effets du bombardement atomique, les radiations, mais aussi les énormes cicatrices invisibles et les blessures psychologiques qui ne seront jamais guéries ».
« Hiroshima Graph – Everlasting Flow » est le récit d’une famille. Le récit de l’héritage de la troisième génération de l’arme nucléaire, et de celles à venir. Le récit d’une bombe qui a bien failli empêcher Yoshikatsu Fujii de naître. Le récit d’un drame, mais surtout d’un miracle, nommé chance ou bien destin, qui a épargné sa grand-mère.
« Hiroshima Graph – Everlasting Flow », Yoshikatsu Fujii. 314 pages. 75 éditions seulement (toutes fabriquées sur commande), toutes signées et portant le numéro d’édition de l’artiste. Disponible en japonais ou en anglais. Retrouvez le travail de Yoshikatsu Fujii sur son site web.