A la fin des années 70, la musique devient au Royaume-Uni la porte-parole de la classe ouvrière britannique, de la révolte contre la situation lamentable du pays, d’une jeunesse démunie face à un monde qui ne leur offre aucun avenir. L’underground devient une force qui va illustrer l’esprit de la nouvelle génération. Qu’il s’agisse du reggae, de la roots, du dub, du rockabilly, du 2 tone ou du punk, tous ces courants véhiculent la protestation et la volonté de changement, avec des mouvements tels que Rock Against Racism.
En 1978, le photographe britannique David Corio, alors âgé de 18 ans, débarque à Londres, juste après avoir terminé ses études au Gloucestershire College of Art and Design, au nord-ouest de Londres. Engagé par le New Musical Express, il couvre quatre ou cinq concerts par semaine, où se produisent des têtes d’affiche telles que George Clinton, Grace Jones ou les Slits. Dire qu’il s’agit de la grande époque serait un euphémisme.
En 1980, Corio photographie Bob Marley au Crystal Palace Bowl, lors de son dernier concert à Londres, dix mois seulement avant sa mort prématurée. « Il pointait son bras vers le ciel. Il semblait être dans un état presque hypnotique », raconte Corio dans une interview pour Contact High.
Le portrait emblématique de Bob Marley par Corio, qui figure sur la couverture de la réimpression à paraître de The Black Chord, illustre parfaitement le don du photographe pour capturer le caractère transcendantal de la musique dans une image, ce qui n’est pas une mince affaire pour un médium à la fois fixe et silencieux.
Les icônes du genre
Bob Marley disparaît au moment même où la musique rebelle triomphe dans le monde entier, de Londres à Kingston, en passant par New York et Toronto. C’est une époque de grands changements, et l’essor du dancehall capte l’esprit du temps.
David Corio a parfaitement documenté l’évolution de la scène musicale durant un quart de siècle, travail qu’il revisite dans Reggae in London 1980-2004. Les portraits en noir et blanc de Corio offrent un regard révélateur sur des chanteurs, des musiciens et des producteurs tels que Lee « Scratch » Perry, Bunny Wailer, Dennis Brown, Barrington Levy et Shabba Ranks, qui n’ont cessé de redéfinir la musique, le style et la vie nocturne pendant des décennies.
Dans Reggae in London, des icônes telles que Gregory Isaacs, Horace Andy et Augustus Pablo côtoient des artistes britanniques, notamment Janet Kay, Smiley Culture et Tippa Irie. Le livre comprend également une large sélection d’artistes moins connus, tels que Niney, Prince Lincoln Thompson et Fabien Miranda, offrant un aperçu d’une histoire que l’on n’a pas encore explorée en profondeur.
Les photographies sont prises sur scène à Londres, plutôt que dans les coulisses ou dans un studio, créant un sentiment d’intimité et de connexion, comme si de vieux amis cheminant dans la vie se rencontraient dans les quartiers de Shepherd’s Bush, Notting Hill, Kensington, Ladbroke Grove ou Brixton. Photographiant ces moments privilégiés, Corio dresse un portrait d’une culture à la fois divine et proche des réalités, les artistes devenant l’essence vivante de la musique faite chair.
Reggae in London 1980–2004, éd. Café Royal Books, 6,70 £.
The Black Chord, co-écrit avec Vivien Goldman, à paraître en 2024 aux éd. Hat & Beard Press. Framing the Beat : 45 Years of Music Photography de David Corio est à l’affiche jusqu’au 6 janvier 2024 à l’Elliott Gallery d’Amsterdam.