Depuis 11 ans, le festival du Guilvinec témoigne de la relation que l’homme entretient avec la mer, axant sa programmation sur une grande diversité d’écritures documentaires. Comme Baudelaire, les photographes sont depuis toujours fascinés par les océans et les rivages. Bienvenue à bord.
Si le festival du Guilvinec consacre sa programmation à la photographie contemporaine, on ne peut aborder ce sujet de l’homme et de la mer sans mentionner deux figures essentielles qui ont marqué l’histoire du médium : Gustave Le Gray et Anita Conti.
Au milieu des années 1850, les marines du premier sont admirées par les peintres alors que la photographie commence à s’imposer comme la rivale de la peinture. Ces clichés ont non seulement une grande force esthétique mais surtout ils sont le fruit d’une prouesse technique originale pour l’époque puisqu’elles sont le résultat de la combinaison de deux négatifs, l’un pour les nuages, l’autre pour la mer. Au final, une vision panoramique et romantique de l’océan.
Vous avez dit photographie et mer ? On pense aussi à Anita Conti, première femme océanographe française qui, un peu moins d’un siècle plus tard, a embarqué à bord de chalutiers. Cette pionnière a marqué l’histoire de la photo avec ses noirs et blancs racontant la vie et les activités des pêcheurs. Une vision intime de ce monde à part.
La mer nourricière
Le sujet de la pêche revient plusieurs fois dans l’édition 2021 du festival du Guilvinec, que les photographes aient pris la pleine mer à bord des bateaux ou soient restés sur les rivages. Le travail de Pepe Brix se distingue par la grande force esthétique de ses images sortant du strict cadre du reportage. Pendant plus de trois mois, le Portugais a partagé la vie d’un équipage dans l’un des derniers morutiers lisutanien en route vers Terre Neuve, élaborant de véritables tableaux vivants.
D’autres photographes ont choisi de couvrir le quotidien des villes côtières. Témoins : Didier Bizet en petite mer d’Aral au Kazakhstan ou encore Sylvain Demange qui a suivi Lucho dans la réserve naturelle de Paracas au Pérou pêchant depuis les falaises pour nourrir sa famille. Avec Michel Thersiquel et son reportage réalisé il y a trente ans sur les femmes travaillant à la criée de Keroman à Lorient, les images prennent valeur de document, ce métier ayant aujourd’hui disparu.
La mer symbole des dérèglements climatiques
Le festival se fait aussi écho d’une des préoccupations majeures de notre temps en abordant la question environnementale. Le Congolais Baudouin Mouanda que l’on avait découvert avec une série sur les sapeurs a, depuis, délaissé le monde de la frivolité et des apparences pour traiter ce sujet grave avec profondeur. A travers des mises en scènes faisant la part belle aux couleurs, il lance un cri d’alarme et nous enjoint à prendre conscience des conséquences du dérèglement climatique, notamment le débordement des eaux.
De son côté, avec sa série « The Box », Gildas Hemon met en lumière une autre démesure du comportement humain via la question du transport maritime. Comme il le raconte, « ces métiers et pratiques qui alimentent depuis trente ans une partie du quotidien de la planète […] entre quais, portiques et stackers. ». En creux, on y voit une représentation visuelle de l’absurdité de notre monde. Car s’ils sont photogéniques, les conteneurs sont aussi terrifiants car ils sont les symboles de la société de consommation et de la mondialisation. Nous achetons ici ce qui est produit ailleurs, où est la logique à l’heure de l’urgence climatique ?
La mer, paysage de contemplation
Heureusement, le festival est aussi là pour nous faire rêver. Avec les images douces et sensuelles de Denis Dailleux qui a capté la chorégraphie des corps évoluant sur les rivages d’Accra, dans l’Afrique subsaharienne : « Là, j’ai été frappé par des scènes tout droit sorties de vieilles peintures à l’huile. La lumière le long de l’océan éblouissait, transformant les hommes en silhouettes. », précise-t-il. Quant à Richard Pak, avec « La Firme », premier chapitre d’une série sur la vie insulaire, il nous donne à voir pour une partie de son travail de saisissants paysages d’une île perdue de l’Atlantique sud au seuil des quarantièmes rugissants. En ces temps difficiles, la photographie est un moyen d’évasion.
Par Sophie Bernard
Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.
Festival Photo du Guilvilec, L’homme et la mer, 11e édition, du 1er juin au 30 septembre 2021. Plus d’informations ici.