« La mode est l’expression de son époque. L’élégance est quelque chose d’autre », clamait Horst P. Horst (1906-1999). Ses photographies de mode et ses portraits ont défini leur temps tout en le transcendant. En soixante-dix ans de carrière, il a marqué le 20ème siècle comme peu d’autres artistes l’ont fait.
L’exposition américaine « Horst P. Horst: Essence of the Times » relate le don singulier du photographe pour l’utilisation de la lumière et de l’ombre, comme le ferait un sculpteur avec son marteau et son burin. Rassemblant plus de quatre-vingt œuvres, dont des portraits de grands noms tels que Diane von Furstenberg, Coco Chanel, Gloria Vanderbilt, Elsa Schiaparelli, Elsa Peretti, Patrick Kelly, Yves Saint Laurent, Karl Lagerfeld ou encore Halston, ainsi que de Vivian Leigh et Marlene Dietrich, « Essence of the Times » explore le travail formel de Horst sur l’image, la manière dont il a brouillé les frontières entre l’art, le commerce et le style.
Conscient qu’il faut du temps pour créer une image transcendant les époques, Horst a adapté les techniques traditionnelles de la peinture de portait à la photographie. « Pour réaliser cette photo, il a fallu deux jours. C’était l’idée qui comptait à l’époque, il n’y avait pas cette hâte nerveuse dans laquelle on travaille aujourd’hui », disait-il à sa biographe et compagne Valentine Lawford à propos d’une séance photo en 1935 avec la comtesse de la Falaise pour Vogue France.
Horst P. Horst et l’élégance à l’ère moderne
Horst Paul Albert Bohrmann naît dans une famille aisée de l’actuelle Saxe-Anhalt, en Allemagne. Il changera plus tard son nom en Horst P. Horst, pour éviter l’amalgame avec Martin Bormann, chef de la chancellerie du parti nazi, et l’un des plus proches lieutenants d’Adolf Hitler.
En 1930, il s’installe à Paris pour suivre une formation auprès du célèbre architecte Le Corbusier, mais sa destinée va prendre un autre cours. Dans le Paris d’avant-guerre, Host fréquente des cercles artistiques comptant des personnalités telles que Coco Chanel, Marlene Dietrich, ou encore le dramaturge Noël Coward – qui tous contribueront à façonner l’iconographie des temps modernes.
À Paris, Horst rencontre le baron George Hoyningen-Huene, chef de la photographie chez Vogue et fils d’un aristocrate russe. Il devient son assistant, son amant, et pose parfois pour lui. En décembre 1931, il publie sa première photographie, une publicité pleine page pour le parfum Klytia dans Vogue France, et l’année suivante, il expose à La Plume d’Or, à Paris.
Janet Flanner écrit un article à propos de l’exposition dans The New Yorker, incluant Horst dans son compte-rendu. En 1935, Horst prend la suite de Hoyningen-Huene chez Vogue, et ce partenariat de trente ans va révolutionner le langage de la photographie de mode et de portrait.
Ce qu’on laisse derrière soi
À l’été 1939, Horst P. Horst arrive aux États-Unis, un pays qu’il appellera son chez-lui jusqu’à sa mort en 1993. Peu de temps avant son départ, il réalise sa dernière image en France, Mainbocher Corset, publiée dans Vogue France en décembre.
La photographie en noir et blanc de Madame Bernon vue de dos, le corset délacé, deviendra l’une des œuvres les plus emblématiques de l’artiste. A propos de cette image, Horst révélera plus tard que « l’éclairage est plus complexe qu’on ne le pense. Il semble n’y avoir qu’une seule source de lumière. Mais il y avait en fait des réflecteurs et d’autres projecteurs. Je ne sais vraiment pas comment j’ai fait. Je ne serais pas capable de recommencer. »
Cette image chargée de sensualité et d’érotisme est bien en avance sur son temps – ce qui explique que Madonna l’ait réinventée dans le clip de son hit de 1990, Vogue, où se mêlent la culture des dancings, la haute couture et le glamour hollywoodien. La photographie, qui a conduit Horst à l’autre bout du monde, symbolise pour lui la fin d’une époque qui aura été décisive dans sa vie.
« Pendant que je prenais cette photo, je pensais à tout ce que j’allais abandonner », dit Horst, conscient que le monde qu’il avait connu ne serait plus jamais le même. « J’étais très triste, voyez-vous, en quittant Paris, et l’on sentait que la guerre allait éclater. On parlait de partir, le modèle pleurait. Et puis, j’ai défait un peu les rubans de son corset, comme si c’était un adieu à la France. »
« Peu de choses sont aussi fascinantes que d’observer la vie des gens aux heures où ils sont seuls »
En 1941, Horst P. Horst devient citoyen américain, et s’affirme comme l’un des photographes les plus novateurs du XXe siècle. Dans les années 1960, lorsque Horst arrive presque au terme de sa carrière, la photographie de mode a perdu son caractère glamour pour adopter un style plus fluide et libre. La rédactrice en chef de Vogue, Diana Vreeland, encourage alors Horst à exercer son talent en faisant des portraits de la haute société.
Et Horst va s’y prendre à merveille. Il saisit à quel point un espace de vie et de travail révèle, dans ses moindres détails, une personnalité. Le portrait de Diana Vreeland est une symphonie de rouges, dans un intérieur rappelant un tableau de Matisse. Diane von Furstenberg est représentée sous son tryptique d’Andy Warhol, assise sur un somptueux canapé, et vêtue de l’une de ses célèbres créations.
Quant à Halston, il pose, tout en noir, devant la fenêtre de son légendaire bureau situé dans l’Olympic Tower, un building aussi caractéristique de la ligne d’horizon du New York des années 1970 que la cathédrale Saint-Patrick.
Dans la préface de Vogue’s Book of Houses, Gardens, People (1968), un livre de portraits réalisés par Horst accompagnés de textes de Valentine Lawford, Diana Vreeland écrit: « Peu de choses sont aussi fascinantes que d’observer la vie des gens aux heures où ils sont seuls, dans les pièces qu’ils aiment, les jardins qu’ils ont plantés, les voir parmi les choses qui leur appartiennent, se livrant à leurs activités favorites, jouissant du confort qu’ils ont créé, organisant leur intérieur pour qu’il s’harmonise avec leur vie individuelle. »
Horst P. Horst: Essence of the Times est présentée jusqu’au 16 avril 2023 au SCAD FASH Museum of Fashion + Film à Atlanta, Etats-Unis.