« Ils n’étaient que quelques-uns / Ils furent foule soudain » — ce vers d’Éluard ouvre le livre comme un éclair. Et la lumière, justement, est au cœur de ce manifeste photographique centré autour du thème de la manifestation, né de la rencontre entre Amnesty International et l’agence MYOP. Un ouvrage de feu et de regards, un cri visuel et politique, où l’image devient langage et la foule, sujet vivant.
L’ouvrage rassemble des photographies de décennies de luttes, de cris, de marches, de corps dressés face au pouvoir. De la place Maïdan à Kiev aux avenues de Paris noircies par les cortèges contre la réforme des retraites, du printemps arabe à la vague Black Lives Matter, les images tissent un récit sans frontière. Celui d’une humanité debout. Les photographes de MYOP ont saisi la colère, la joie, la beauté des visages insurgés à travers le temps. Les photos sont noires et blanches ou flamboyantes de couleurs. Des instants suspendus, saisis dans le tumulte. Ce sont, pour reprendre les mots de Salomé Saqué, « des fragments de colère, d’espoir et de détermination ». Chaque image semble répondre à une question fondamentale : qu’est-ce qui pousse un être humain à se lever, à marcher, à risquer parfois sa vie ? Peut-être cette conviction, exprimée en creux tout au long du livre, que « manifester nous anime. Manifester nous engage ».



Le texte de Saqué, en préface, mêle récit personnel de ses débuts de journaliste et réflexion engagée sur les ressorts des révoltes collectives. Elle y raconte son propre éveil journalistique, l’envie de témoigner de cette « énergie brute qui circule entre les corps serrés ». Et elle observe ce mystère magnifique : « Qu’est-ce qui déclenche ce basculement du “je” au “nous” ? Cette étrange alchimie où des solitudes se fondent tout d’un coup en une force commune capable d’ébranler l’ordre établi ? » À cette question, le livre n’apporte pas de réponse définitive. Il en montre simplement les visages.
Structuré autour de mots totémiques — « Colère », « Union », « Courage », « Espoir », et enfin « Manifestez-vous » — le livre prend corps dans les photographies, comme celle de cette jeune femme brandissant une pancarte « STOP WAR » en soutien à l’Ukraine. Une poésie du réel, parfois dure, mais toujours vibrante.

France, le 24 février 2022.
© Laurence Geai/MYOP

Les photographes de l’agence MYOP — Alain Keler, Olivier Laban-Mattei, Laurence Geai, Guillaume Binet, Chloé Sharrock et tant d’autres — arrachent aux manifestations ces secondes de grâce où une vérité surgit : un cri muet, un regard levé, un geste. « Les personnes qui manifestent ont autant la conviction d’être à leur place, ici – pour revendiquer –, que les photographes ont la conviction d’être à leur place, là – pour documenter », lit-on dans l’avant-propos. C’est cette résonance, que les images rendent palpable. Car les photographes, loin d’être de simples témoins, deviennent ici les vecteurs d’une mémoire, les passeurs d’une ferveur. « Ce travail permet parfois de protéger celles et ceux qui croient envers et contre tout que la foule peut faire basculer l’Histoire. »
Alaa El Aswany, écrivain qui a pris une part active au Printemps arabe et participé au mouvement de la place Tahrir, de son côté, livre des récits à hauteur d’homme. Il raconte les balles, les corps tombés, les yeux brûlés, la jeunesse égyptienne qui avance en sachant qu’elle peut y rester. Il résume la vérité brute de ces engagements : « La leçon la plus importante, c’est que personne ne nous fera cadeau de nos droits, tout simplement parce que les droits ne s’octroient pas : ils s’arrachent et se conquièrent. »


Ils furent foule soudain est une œuvre parlante dans un contexte de régression démocratique. Amnesty y dénonce « la criminalisation des manifestant·es » et le « recours illégal à la force ». Mais c’est justement parce que ce droit est puissant qu’il est réprimé. Alors que manifester devient chaque jour plus difficile, ce manifeste agit comme un acte de résistance. Un livre pour se souvenir que « manifester est un droit précieux », et surtout un acte de présence au monde.
« Ils furent foule soudain ». Exposition à l’Académie du Climat à Paris du 14 Mars au 11 Mai 2025 et livre édité par Hoebeke, en partenariat avec Amnesty International. Livre imprimé, disponible au prix de 25.00 €.