« Je l’ai croisée un jour, en me promenant, je me suis assis près d’elle, et j’ai commencé à parler. Nous avons pris une bière. Et après quelques heures de conversation, je lui ai demandé : “Ça te dérange si je te photographie ?” Elle m’a répondu : “Je ne suis pas présentable. Je suis en pyjama.” J’ai dit que c’était parfait. J’ai pris deux photos d’elle. Je les ai développées et je les ai mises dans l’exposition. Je l’ai invitée à l’exposition et elle s’est mise à pleurer quand elle l’a vue, parce qu’elle ne s’était jamais vue représentée de cette manière ou vue de cette façon. »
La photo de Mme Shirley prise ce jour-là par le photographe Colby Deal a été un déclic dans sa carrière. Elle lui a révélé que son travail n’était pas seulement pour lui-même, mais aussi pour les personnes qu’il photographie.
Devenir photographe n’a pas été un long fleuve tranquille pour Deal. Enfant, il grandit dans le Third Ward de Houston et s’intéresse petit à petit à l’art. Le jeune Colby Deal dessine, peint, crée. Il sait depuis son plus jeune âge qu’il veut devenir artiste. Même s’il est rapidement confronté à la précarité du métier, il se demande à quel domaine artistique consacrer sa vie.
En 2013, Colby Deal obtient un diplôme en conception graphique dans une petite université communautaire du Texas. Mais ce n’est pas le parcours professionnel qu’il imagine. Tout en travaillant à côté de ses études, une carrière en agence de publicité ne l’enthousiasme pas. Il n’aime pas devoir constamment répondre aux exigences des clients. Il décide alors de changer de cap.
« Un jour, j’étais assis, je réfléchissais et je me suis dit que ma situation ne me rendait pas heureux. J’ai toujours aimé prendre des photos. J’étais l’ami du groupe qui, si nous sortions, disait: “Hey, arrêtons-nous au supermarché et achetons quelques appareils jetables pour pouvoir immortaliser la soirée”. Et ça a fait tilt. »
Colby Deal achète un reflex numérique et se met ainsi à la photographie pour raconter des histoires en images. Alors qu’il commence à photographier le quotidien dans son quartier, le Third Ward, il suit également un cours de photographie argentique traditionnelle. C’est ainsi qu’il construit ce qui va devenir Beautiful, Still.
Le jeune homme aime profondément la photographie, et la relaxation qu’elle lui procure. « C’est alors que je me suis inscrit à l’université de Houston et que j’ai intégré leur programme de photographie », raconte t-il. « Je n’y suis pas allé pour apprendre à faire de la photographie. Je l’avais déjà appris par moi-même. C’était surtout pour entrer dans un réseau particulier et pour apprendre à m’exprimer et à parler de ce que je capturais. »
Grâce à ces cours, Deal commence à travailler sur la préservation de l’âme culturelle et sociale qui est en train de disparaître dans le Third Ward. De cette expérience naîtra le titre de Beautiful, Still. « Pour un étranger, cela peut ressembler à un endroit délabré, mais pour moi, il est toujours beau. Les gens de cette communauté et les événements organisés par cette communauté ne sont peut-être pas les meilleurs, et ils traversent beaucoup d’embûches, mais ils se tiennent toujours debout. Nous sommes toujours beaux. »
La mort de George Floyd, provoquée par un groupe de policiers blancs à Minneapolis en 2020 a également eu un effet sur la série de Colby Deal. Floyd a grandi dans le Third Ward. Son décès va mettre en lumière cette communauté, et son histoire qui remonte aux lendemains de la guerre civile. Bien que les images prises par Deal datent d’avant la mort de Floyd, elles ont permis de révéler la communauté du Third Ward aux yeux du peuple américain.
« À moins que vous ne soyez de Houston ou peut-être de Louisiane, beaucoup de gens ne connaissent pas la communauté du Third Ward », explique Colby Deal. « Quand Floyd est mort, le public a commencé à en apprendre davantage sur l’aspect historique de cette communauté. Cela confère un caractère mystique aux photographies. Maintenant que le monde connaît le Third Ward, ce livre tombe à point nommé pour montrer aux gens l’endroit d’où Floyd venait. »
Aujourd’hui, l’attention portée au quartier favorise son développement et les initiatives privées comme publiques. « D’un côté, vous êtes heureux que votre communauté obtienne une certaine reconnaissance et des ressources. Mais plus on lui accorde d’attention, plus on accélère le processus de développement, puis d’embourgeoisement. »
Et en créant ses photographies, Colby Deal laisse aussi ce que certains appelleraient des imperfections : les peluches de poussière, les taches sur les négatifs. Ce n’est pas un défaut, mais plutôt un choix artistique, une façon de raconter l’histoire.
« En vérité, lorsque Daguerre, Stieglitz et ces grands photographes essayaient de coucher une image sur le papier, ou de la transformer en un objet physique, rien n’était parfait. Ce n’est que plus tard que la photographie parfaite, l’image techniquement correcte, est devenue importante. Je photographie pour prendre ce que je vois et le figer dans le temps. »
Contrairement à Daguerre et Stieglitz, Colby Deal travaille pour présenter plus que de simples portraits des habitants du Third Ward. Il veut que son travail crée une vision plus complète du lieu qu’il couvre, et en présente tous les aspects.
« Je ne veux pas que vous voyiez seulement un tas de beaux portraits. Je veux que vous voyiez des visages. Je veux que vous voyiez de la photographie de rue. Je veux que vous voyiez les rues de ces personnes dans les portraits. Je veux que vous voyiez les maisons de ces personnes. Je veux que vous voyiez ce qui se passe au sein de cette communauté. »
Beautiful, Still de Colby Deal est publié par Mack Books et disponible au prix de £40.00.
