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James Van Der Zee, portraits à Harlem

Dans n’importe quelle scène du film Passing de Rebecca Hall, reconstitution parfaite de Harlem à l’apogée de sa renaissance, il n’est pas surprenant que la caméra zoome sur une photographie encadrée prise par James Van Der Zee.

L’éloquent poème sonore de Rebecca Hall est filmé de manière dynamique dans un rapport de cadrage 4:3 qui fait subtilement référence au format des appareils photo de l’époque, et est peuplé de citoyens qui auraient été ravis d’obtenir un créneau dans l’agenda surchargé du studio de Van Der Zee.

À l’époque, le studio Van Der Zee de la 135e rue est l’épicentre de la vie sociale de Harlem. À l’instar des personnages centraux du film de Hall, il joue un rôle essentiel en incarnant la réussite sociale à ce moment de l’histoire à forte connotation raciale.

Les gens ont alors encore de fausses idées, profondément ancrées, sur les Afro-Américains, même quand ils réussissent dans de nombreux domaines. Les arrière-plans classiques (colonnes peintes, grandes plantes, urnes imposantes) et les poses des sujets, tout en majesté, dans la plupart des portraits exposés dans James Van Der Zee « A Portrait of Harlem » à la National Gallery of Art, à Washington (Etats-Unis), leur confèrent une certaine gravité due au fait qu’ils sont photographiés par le principal pourvoyeur de portraits artistiques réalisés en studio.

Et cela, en racontant, partiellement, l’histoire de ces vies il y a près de cent ans.

James Van Der Zee, Portrait d’un couple, 1924, National Gallery of Art, Washington, Fonds Robert B. Menschel © 1969, James Van Der Zee

Même si d’autres photographes de renom, comme James Latimer Allen et Carl Van Vechten, réalisent à l’époque des portraits en studio à Harlem, c’est Van Der Zee qui déclare: « en tant qu’artiste, j’avais l’instinct de l’artiste. Ce qui me donne un avantage sur le photographe moyen. Je vois la photo avant qu’elle soit prise, puis c’est à moi de faire en sorte que l’appareil voit cette photo ». C’est ce qui lui donne de l’importance dans une communauté soucieuse d’être perçue comme ayant réussi, résolument à l’écart de la population blanche plus loin, au sud de Manhattan.

Si les images d’Allen tendent vers une approche plus décontractée, et celles de Van Vechten vers une narration plus dramatique combinée à des représentations de plus en plus homoérotiques, la production de Van Der Zee – du moins telle qu’elle est exposée à la National Gallery – ressemble davantage à celle d’une époque où commander un portrait de famille à accrocher au-dessus de la cheminée est un marqueur de réussite sociale.

Le mantra, à l’époque, de tous ceux qui posent devant l’objectif de Van Der Zee est d’enfiler son plus beau costume (encore mieux un smoking) ou la robe « pour les grandes occasions » de son placard. Dans la majorité des cas, les noms des personnes ne sont pas mentionnés dans les légendes des photos. En choisissant d’identifier les figures par des mentions comme un « couple », un « violoniste » ou un « jeune garçon », il devient évident que les noms génériques donnent à l’œuvre une intemporalité, comme pour dire qu’il suffit de voir pour comprendre.

James Van Der Zee, Couple, Harlem, 1932, National Gallery of Art, Washington, Alfred H. Moses et Fern M. Schad Fund © 1969, James Van Der Zee
James Van Der Zee, Belle Mariée, vers 1930, National Gallery of Art, Washington, Fonds Alfred H. Moses et Fern M. Schad © 1969 Van Der Zee
James Van Der Zee, Soldat, 1944, National Gallery of Art, Washington, Fonds Avalon © 1969, James Van Der Zee
James Van Der Zee, Portrait d’une jeune femme, 1930, National Gallery of Art, Washington, Fonds commémoratif, Pepita Milmore © 1969, James Van Der Zee

On ressent également dans le regard des sujets de Van der Zee un sentiment de confiance vis-à-vis du désir du photographe de produire un acte artistique à visée universelle. La plupart des tirages sont au format 4×5 ou 5×7 et font écho aux limites du cadrage 4:3 que la réalisatrice Rebecca Hall a choisi d’utiliser dans son film.

Comme dans d’autres films récents (The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal et First Reformed de Paul Schrader pour n’en citer que deux), ce choix pousse continuellement le regard du spectateur vers le centre de l’image, l’obligeant à s’éloigner de la périphérie et à revenir au cœur de l’histoire.  À travers ses photographies, Van Der Zee s’emploie à célébrer la réussite sociale de ses sujets. Des photographes aussi différents que Mike Disfarmer dans l’Arkansas et Seydou Keïta au Mali ont servi leur communauté de la même manière pendant de nombreuses années.

Une image frappante de cette exposition, issue des collections permanentes de la National Gallery, est celle d’une photographie funéraire que Van Der Zee a prise en sa qualité de seul chroniqueur d’une époque qui annonçait l’ascension de cette dynamique communauté. Il s’agit essentiellement d’un rite de passage similaire à celui des naissances, des communions et des mariages.

À l’époque, les photos de personnes dans leur cercueil ne sont pas rares, et contribuent à atténuer la douleur liée au décès d’un membre de la famille, en particulier dans le cas d’un enfant dont la seule photo peut être celle d’un cercueil. L’inclusion d’une ou deux autres images de ce type aurait enrichi ce qui, en fin de compte, se veut une représentation d’un lieu et d’une époque où la vie et la mort se sont mêlées comme elles l’ont fait tout au long de l’histoire.

Bien qu’il ait fallu attendre plusieurs décennies pour qu’il soit publié, The Harlem Book of the Dead (octobre 1978) est sans doute la pierre angulaire de la carrière de Van Der Zee et l’aboutissement d’une production gargantuesque. Et il contribue ainsi à consolider son statut de figure centrale de l’histoire de la photographie américaine.

James Van Der Zee, « A Portrait of Harlem », National Gallery of Art, Washington DC aux États-Unis, West Building, Ground Floor, Gallery 22, jusqu’au 30 mai 2022.

James Van Der Zee, Club Lido, années 1930, National Gallery of Art, Washington, Don d’Ellen et Richard Sandor © 1969, James Van Der Zee
James Van Der Zee, Restaurant Capital Grill, vers 1940, National Gallery of Art, Washington, Fonds Avalon © 1969, James Van Der Zee

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