Jean Gaumy est un « vrai timide » , mais pour réaliser une photographie il doit souvent « s’approcher à trois mètres ou moins » . Une variante du précepte de Robert Capa – « Si votre photo n’est pas assez bonne, c’est que vous n’étiez pas assez près » – qui a de quoi faire sourire. Elle a pourtant façonné son style. Et cette façon de voir notre monde, dans l’intimité des hommes, à travers des scènes prises sur le vif, dans des compositions complexes, est devenue une sorte de seconde nature. Jean Gaumy parle d’une traque des concomitances. « C’est le chien qui arrive à gauche, les deux types qui vont se serrer la main, la vieille dame qui arrive au fond, et une voiture qui va passer… »
Cette fois-ci, pour D’après Nature (projet débuté en 2003), le photographe s’est tourné vers des paysages en montagne où, à première vue, rien ne se passe. Comme pour brouiller les pistes. Lui, a bien suivi celles qui mènent aux sommets du massif des Alpes. « Quatre ou cinq vallées parallèles qui vont de l’est à l’ouest, qui montent jusqu’à 2000m, et ne sont pas beaucoup fréquentées. » En marchant durant des jours entiers, passant d’un refuge à l’autre, descendant parfois au village pour retrouver quelques copains, Jean Gaumy a réalisé des images qui révèlent dans la nature, des formes, des lignes, des silhouettes… Au moyen format. « Pour avoir un rythme plus lent. Ce sont des journées où tout à coup, les choses s’imposent, se donnent à vous. Vous les “reconnaissez”. »
Paysages et imagination
Dans ces photographies noir et blanc, à la fois extrêmement graphiques, parfois à la limite de l’abstraction, mais aussi intimes, on distingue souvent ce que l’on veut. C’est aussi le pouvoir de cette photographie, faire appel à l’imagination du spectateur, le forcer à regarder plus attentivement, quand notre monde nous pousse davantage à seulement apercevoir. On appréciera dans ces images l’histoire personnelle du photographe, sa culture, son passé, et les liens humains qu’il a créés. Car pour lui, ces images sont tout d’abord le fruit d’une imprégnation, tout un mélange hétéroclite d’éléments qui lui font « signe ».
Jean Gaumy connaît bien la montagne, la petite sœur des Alpes surtout, au sud-ouest du pays. « Mon enfance, c’était dans les Pyrénées. Ma famille habitait à Toulouse. Nous étions très souvent en Ariège, le pays de mes arrière-grands-parents. » Tout ça, tout ce qui fait la beauté de ces images, ressemble à un déjà-vu qu’il n’aurait pas pu photographier avant. Jusqu’à ce projet, et ce livre, publié en 2010 chez Xavier Barral. « Ce sont toutes les images qui me reviennent d’avant. Mais pas seulement. Ce sont aussi des références inconscientes qui surgissent – la peinture par exemple… Certains tableaux de Andrew Wyeth, “Down Hill” ou “Winter Monhegan” , découverts quelques années auparavant grâce à Michelle, mon épouse. Ceux de la Renaissance, avec ces intérieurs où se trouvent tout au fond des fenêtres, des portes, des ouvertures qui donnent sur de minuscules paysages. Ce sont d’ailleurs eux qui m’intéressent le plus souvent. À Pollock, là je pense aux entrelacs d’arbres et de branches. Le cinéma (noir et blanc naturellement !): Carl Dreyer, Arne Sucksdorff, Andreï Tarkovski. La littérature aussi : Jean Giono, Julien Gracq, Charles-Ferdinand Ramuz… »
Jean Gaumy parle de « mémoire décisive » à propos de son livre D’après Nature. L’homme, qui est membre de l’Académie des beaux-arts depuis 2016, a de l’esprit, et comme ses aînés, un vrai sens de la formule. Une gymnastique entretenue par les rencontres et les discussions éclairées. Lorsqu’un membre de l’Académie des sciences s’approche et lui demande « pourquoi l’être humain au cours de son évolution est-il toujours attiré par la beauté ? » ; il répond: « Il y a certainement des pistes de réflexion dans la sociologie, dans l’histoire de l’art, mais cela a peut-être aussi à voir avec la biologie dont vous êtes spécialiste : une nécessité pour survivre. »
« Jean Gaumy, D’après Nature » . Exposition du 2 février au 13 avril 2024 à la galerie Sit Down, à Paris.