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Jeanloup Sieff, voyage photographique dans la Vallée de la Mort

À travers la publication d’une biographie signée Claude Nori et la réédition de La Vallée de la Mort, ouvrage paru dans les années 1970, épuisé depuis plus de dix ans, les éditions Contrejour remettent à l’honneur Jeanloup Sieff, disparu en 2000.
Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort © Succession de Jeanloup Sieff

Des voyages photographiques, l’histoire de la photographie en compte assurément des milliers. Dès le milieu du XIXe siècle, ceux que l’on nomme les Orientalistes – Maxime Du Camp, Eugène Bonfils, etc. – partent en quête d’exotisme en Orient, happés par l’ailleurs. Leurs “tours” ressemblent davantage à des expéditions, tant le matériel photographique est lourd, encombrant et difficile à manipuler. Changement de siècle, évolution du genre, le XXe invente le road trip, une exploration physique du paysage au sens large, doublée d’une introspection. Chez les plus grands, ce point de vue subjectif sur le monde est affirmé par des partis pris esthétiques forts, allant jusqu’à remettre en cause les normes établies.

Ces séries-là sont moins nombreuses mais quelques-unes sont fameuses : « Les Américains » (1958) de Robert Frank, « Le voyage Mexicain » (1965-1966) de Bernard Plossu ou encore « La Vallée de la Mort » de Jeanloup Sieff en 1977. Les photographies de ce dernier sont doublées d’un journal racontant les coulisses de ce séjour, croisement de témoignages, observations et émotions. Ces images de Jeanloup Sieff parlent d’elles-mêmes, mais auraient-elles la même saveur sans les mots de l’intime ? C’est une chance que Claude Nori, le fondateur de Contrejour, ami du photographe, ait décidé de rééditer cet ouvrage.

Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, Hommage à Seurat, New York, 1965 © Succession de Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, Lille, Mor, Paris, 1961 © Succession de Jeanloup Sieff

 « L’alibi de ce voyage était un livre et un film, la raison profonde une fuite en forme de parenthèses, le besoin vital de faire le point avec moi-même, de retrouver avec mon appareil photographique, cette complicité oubliée que les années de vie en commun avaient érodée… », écrit Jeanloup Sieff à bord de son camping-car qu’il a baptisé Germaine, avec l’humour qui le caractérise. Il effectue cette itinérance du 15 février au 24 mars 1977 en compagnie de sa future femme Barbara.

Cette année-là, Jeanloup Sieff a 43 ans, et déjà un brillant parcours derrière lui. Il a imposé sa patte noire et blanche dans nombre de magazines de mode – Glamour, Esquire, Harper’s Bazaar, Queen, Vogue, etc. Son reportage Borinage lui a permis de recevoir le prestigieux Prix Niépce en 1959, et sa maîtrise du nu et du portrait est reconnue de tous. Témoins, François Truffaut saisi sous un parapluie en 1959 et Alfred Hitchcock pour Harper’s Bazaar en 1962, tous les deux à ranger dans les icônes de l’histoire du médium.

Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort © Succession de Jeanloup Sieff
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Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort © Succession de Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort © Succession de Jeanloup Sieff

Pour sa Vallée de la Mort, il opte pour le noir et blanc, bien sûr, et le 24×36, en Leica et Nikon, associés à des objectifs grand angle. Ce choix, guidé par un désir de créativité qui caractérise l’ensemble de son travail de commande ou personnel, accentue le caractère dramatique du lieu par la déformation spatiale. Aux paysages lunaires panoramiques aux multiples nuances de gris s’ajoutent des gros plans sur le sol aride, craquelé par manque d’eau, des portraits d’Américains aux looks improbables et semblant surgir de nulle part, et des vues d’intérieurs de diners, ou encore de casinos, à Las Vegas où il a fait escale. 

À travers cette série, Jeanloup Sieff nous donne à voir une Amérique entre rêve et réalité ; à la fois authentique et fantasque. Ce mélange singulier se retrouve dans son récit où il cite autant la bande dessinée Mandrake le Magicien, « qui fascina [s]es neuf ans » que l’illustrateur Norman Rockwell, les tableaux d’Andrew Wyeth, les photos de Walker Evans et les écrits de Jack Kerouac : « … nous sommes “on the road”, comme Kerouac, à la recherche de nous-mêmes »

Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort © Succession de Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff
Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort © Succession de Jeanloup Sieff

Dans sa biographie Jeanloup Sieff fais-moi un signe, Claude Nori, nous fait découvrir l’homme derrière l’objectif. Et, à travers lui, une époque révolue où le noir et blanc régnait en maître. Dans les années 1970, une nouvelle génération a pris la relève des photographes humanistes qui avaient, après les tourments et horreurs de la guerre, offert une vision apaisée du monde. « Seuls les meilleurs, Helmut Newton, Sarah Moon, Guy Bourdin, Jean-François Bauret, Georges Tourdjman et bien sûr Jeanloup Sieff poursuivirent une carrière que les années bonifièrent », raconte Claude Nori. 

Cette biographie pleine de tendresse refait le parcours de Jeanloup Sieff, de son premier appareil reçu à 14 ans et sa formation à l’école Vevey (Suisse) dans les années 1950 à la spécificité de son regard : « Ni photographe de mode, ni portraitiste, ni reporter, pas moins artiste créatif mais un peu tout cela à la fois ». Inclassable, insiste Claude Nori, parce qu’en plus de ses nombreuses facettes de photographe, « il écrivait merveilleusement bien ». Une raison de plus pour lire son journal accompagnant les images de La Vallée de la Mort.

Jeanloup Sieff, La Vallée de la Mort, 96 pages, éditions Contrejour, 35 €. Mise en vente le 19 mai 2022.

Claude Nori, Jeanloup Sieff fais-moi un signe, 196 pages, éditions Contrejour, 30 €. Mise en vente le 19 mai 2022.

Jeanloup Sieff
Claude Nori, Jeanloup et Barbara, Les Petites Dalles, Normandie, 1990 © Succession de Jeanloup Sieff

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