Dans le monde de Joel-Peter Witkin, la mort n’est pas à craindre. Il y a de la beauté dans le macabre, un peu d’humour, aussi, comme en témoigne toute l’œuvre du photographe, où le merveilleux se mêle au sacrilège.
Avec ses natures mortes subversives, où des membres amputés et des transsexuels sont mis en scène dans des poses classiques, Joel-Peter Witkin est considéré comme un photographe majeur de notre époque.L’exposition à la galerie baudoin lebon, « Joel-Peter Witkin : The Untold Story of the Photograph » explore le processus créateur de Witkin : qu’il s’agisse de ses tirages à l’encaustique, des accessoires de ses tableaux parfaitement composés ou de ses planches-contacts gribouillées, le spectateur est plongé dans un univers tour à tour sombre et paradisiaque.
Joel-Peter Witkin, mêler le romantisme au tragique
Fervent adepte du romantisme, Witkin prend des libertés avec les œuvres de cette époque, donnant à ses photographies un caractère pictural en les rehaussant d’un mince film d’encaustique, qui adoucit l’image et fait hésiter sur le médium.
L’une d’elles, une tête d’agneau reposant doucement son museau sur un support en bois, semble si tendre qu’il est facile d’oublier que l’animal n’est pas vivant. La netteté du fond noir rappelle Goya, quoique cette image n’ait rien en commun avec les visions d’horreur du peintre.
Une référence plus directe à la peinture romantique est la version du Radeau de la Méduse de Géricault, que Witkin réinterprète sous le titre The Raft of George Bush. Cette « nef des fous contemporaine », selon ses propres termes, a pour passagers des membres de l’administration Bush (Colin Powell, Dick Cheney, Condoleeza Rice), et la mère de Bush elle-même, Barbara.
C’est à la fois la peinture de Géricault, exposée au Louvre, et le bilan des années Bush qui ont inspiré Joel-Peter Witkin. L’on voit un ange, dans cette image, qui « tient un gros os représentant le capitalisme cannibale, ce charnier de notre pitoyable progrès social », explique-t-il dans un communiqué.
L’une des images les plus célèbres de Witkin, Harvest, est exposée au Musée du Louvre dans le cadre de l’exposition intitulée « Les Choses: Une Histoire de la Nature Morte ». Un visage émerge d’un entrelacs de feuilles et de branches, à la manière où des légumes et des fleurs dessinent les traits d’un homme dans le Vertumnus d’Arcimboldo. Mais tandis que celui-ci produit un effet humoristique, c’est une beauté tranquille qui émane de Harvest.
Le grotesque est un thème récurrent chez Witkin ; une autre de ses images célèbres, The Kiss, représente une tête humaine coupée en deux, qu’il a obtenu la permission de photographier dans une morgue. Les deux profils sont réunis bouche à bouche dans un baiser, l’image exprime à la fois le dynamisme de la vie et la froideur de la mort.
Il est bien connu que Joel-Peter Witkin, à l’âge de six ans, a été témoin d’un accident de voiture qui a décapité une petite fille. On fera facilement le lien entre ce spectacle d’horreur et ses photographies peuplées de spécimens démembrés ; et pourtant, le choc, la crainte, l’horreur, la fascination qu’il a vécus ce jour-là ne sont pas la force motrice de son travail.
« Tout le monde est un monstre »
C’est son respect pour la vie qui guide Joel-Peter Witkin, plutôt que le désir de faire sensation. « La plupart des gens ne comprennent pas », dit-il (ajoutant, cependant, que les Français ont une réaction différente à son travail, et ont tendance à mieux l’appréhender, car ils « ont des liens plus profonds avec l’histoire de l’art ! »). Son message, dit Witkin, est « que nous sommes des êtres éternels ! Que nous sommes tous faits par Dieu, et que le grand ennemi est l’égoïsme ! »
En effet, une grande partie du travail de Witkin ne s’enracine pas seulement dans la curiosité, mais dans un désir de faire en sorte que les gens se sentent vus et compris. Bien qu’il y ait des thèmes sexuels dans de nombreuses images, et que l’on y voie la réalisation de nombreux fantasmes, elles n’ont pas un caractère pornographique. Les portraits de transsexuels ou d’amputés, loin d’exploiter leur altérité, présentent tranquillement leurs différences.
« J’ai toujours détesté le terme « freak show » parce que tout le monde est un monstre », a déclaré Joel-Peter Witkin dans un discours à la Maison européenne de la photographie. « Nous sommes tous sur terre pour sublimer notre spiritualité, notre mental et notre physique, par l’amour ‘désintéressé’ et par la conviction que nous sommes réellement citoyens d’un autre monde, du Ciel. »
L’exposition à la galerie baudoin lebon fournit des informations précieuses sur le processus créateur de Witkin, en présentant notamment une peinture bleu pâle qui servira de toile de fond à la photographie accrochée à côté d’elle. Pour réaliser ses œuvres majeures, Joel-Peter Witkin a consacré des mois à concevoir méticuleusement ses tableaux, à l’aide de dessins et d’études.
À l’ère du numérique, où Photoshop ouvre de nouvelles possibilités, Joel-Peter Witkin reste un puriste de la photographie, préférant le collage et autres techniques d’impression aux logiciels de manipulation des images.
Interrogé sur ses futurs projets, Witkin déclare simplement qu’il est à la retraite. « J’ai fait du mieux que j’ai pu, avec les sujets de photographie que la vie m’a donnés ! » dit-il. « Et je suis fier de ce que j’ai réalisé ! »
Exposition « Joel-Peter Witkin : l’histoire inédite de la photographie » à la galerie baudoin lebon jusqu’au 26 novembre.
L’exposition « Les Choses: Une histoire de la nature morte » est présentée au Louvre jusqu’au 23 janvier.
L’exposition Joel-Peter Witkin, Early Works a lieu jusqu’au 14 janvier à la galerie Bruce Silverstein à New York.
“Joel-Peter Witkin: L’art et la maniere”, Palais du Roi de Rome, Rambouillet, jusqu’au 31 décembre 2022.