Ancrée dans le domaine de la sculpture, Katinka Bock a toujours considéré la photographie en arrière-plan, comme une fenêtre dans un espace sculptural. À travers près de 65 images sans légendes, « Der Sonnenstich » replace la photographie au centre. Le titre de l’exposition pourrait être traduit par « l’insolation », même si pour l’artiste « piqûre du soleil » serait le titre littéral.
« Je pense que c’est ce qui relie chaque moment de mon travail photographique », explique Katinka Bock. « J’enregistre un événement et il y a quelque chose qui est de l’ordre de l’irritation, de la piqûre. La photographie est cette sorte de piqûre que la lumière écrit sur une surface. »
Ombres et surfaces
Lignes, arcs, cylindres, cubes… l’œuvre de Katinka Bock est avant tout une recherche sur la forme. Alors que dans « Building Bridges » un frelon mort devient le relief d’un pont sur le revers d’une main fermée, dans « Some and any fleeting » un rayon de soleil inonde un minuscule serpent s’enroulant autour de l’index d’une main tendue. Or, ce qu’on pourrait prendre pour un reptile n’est autre qu’un bijoux en argent issu d’une collection archéologique. On jongle entre le vivant et l’inerte.
Derrière tous ces instants figés, se profilent des fragments d’histoires, comme ce minuscule crabe au fond d’une tasse de café, photographié lors d’un projet d’exposition à Glasgow. Le petit animal avait passé plusieurs mois niché au cœur d’une sculpture en céramique. Cette forme de vie, surgissant de nulle part, nous renvoie à la question philosophique de nos origines, entre hasard et nécessité.
Katinka Bock photographie, ce qui l’obsède, ce qui l’habite. « Il y a aussi quelque chose de monstrueux derrière ces petites bêtes qui piquent, qui pincent et qui embêtent », explique-t-elle. Le monstrueux, c’est également celui de la métamorphose et de l’anomalie anatomique. Ainsi, dans la série « Some and any fleeting », objets archéologiques et créations en céramiques prennent la forme de prothèses mécaniques.
La main et la marge
C’est avant tout le traitement des surfaces que Katinka Bock explore. « Ce ne sont pas les visages et les identités qui m’intéressent, mais les membres du corps montrés », déclare-t-elle. Les images s’inspirent de l’altération des céramiques, des bois ou des bronzes que l’artiste manipule au quotidien. Des liens se tissent alors entre l’empreinte du plis des draps sur la peau et les rainures creusées dans un morceau de bois.
Il y a aussi les mains. Outils essentiels de l’artiste, elles sont à la fois sujets et objets des photographies. C’est avec elles que l’artiste réalise ses sculptures et ses clichés, mais c’est aussi ces dernières qui sont mises à l’honneur devant l’objectif. Jouant avec des petites bêtes, tenant des fruits ou des coquillages, les mains exécutent des gestes incongrus et presque chorégraphiques. « La main, c’est aussi celle qui est là pour nous présenter quelque chose. C’est cette “monstration”, cette petite chose souvent en marge de l’objet qu’elle pointe. »
Finalement, la sculpture ne quitte pas tout à fait l’espace de la Fondation Pernod Ricard. Des pièces en céramique accompagnent la déambulation. C’est ce que l’artiste appelle « la marge ». Ces fragments de sculpture « soulignent et soutiennent la lecture des photos dans l’espace, comme un crayon qui annote un texte », précise-t-elle.
Comme un moment suspendu
Il faut du temps pour créer. C’est précisément pour cette raison que Katinka Bock photographie à l’argentique, avec un vieil appareil qui appartenait à son grand-père. Ce retour aux procédés traditionnels justifie sa manière d’appréhender la création : « Je n’ai pas de contrôle sur ce que je photographie. Quand la pellicule me revient des mois plus tard, le moment est déjà obsolète. »
En sculpture comme en photographie, tout est affaire de lâcher prise. Le travail de la matière demande en effet des traitements spécifiques. Le bois ou la céramique doivent sécher pendant des semaines.
Si pour Katinka Bock, le plus important est que le médium parle, dans la forme comme dans la technique, le silence reste au cœur de son processus artistique. « J’aime le silence de la photographie », dit-elle. « Et je l’aime aussi dans la sculpture. C’est un point commun. » Car il y a quelque chose d’insaisissable dans le travail de Katinka Bock. La trace d’un passage, comme un instant volé, entre l’absence et l’immatériel.
Katinka Bock, Der Sonnenstich, Exposition jusqu’au 29 avril 2023 à la Fondation Pernod Ricard