Lionel Jusseret est un habitué des séries photographiques sur les invisibles, sur ceux qui vivent en marge de la société. Il avait notamment travaillé sur les enfants dit autistes dans sa série « Kinderszenen ». Il les avait suivis lors d’un moment de répit pour eux : dans la parenthèse de leurs vacances à la campagne, hors des murs des institutions où ils sont souvent parqués. En quelques images, il dressait un portrait troublant, humain et loin des préjugés sur cette jeunesse.
Dans son ouvrage, Les impatientes, il s’est cette fois-ci intéressé au quotidien d’une maison de retraite et à ces femmes et ces hommes, nés entre 1920 et 1945, qui sont appelés la génération silencieuse.
« Alors, comment te sens-tu parmi nous, dans notre peuple de vieillesse ? » a demandé Madame Yvonne, l’une des résidentes de l’Ehpad, à Lionel Jusseret. Il était alors dans le réfectoire, il observait : « Personne ne dépasse personne. Les portes s’ouvrent enfin, la soupe est servie. Les blouses blanches distribuent les « serviettes élastiquées pour adultes » – en réalité juste de grands bavoirs. Madame Yvonne me fait signe, me demande l’aider à nouer sa serviette à son cou. » Ces personnes âgées ont traversé la Seconde Guerre mondiale, connu le manque et travaillé dur toute leur vie. « Ils sont décrits comme fatalistes et conventionnels. Cette vision généraliste et réductrice ne rend que peu hommage à ces mamys et papys dont l’univers de papier fleuri fait écho à lui seul à toute notre enfance. »
Il est question ici d’hommage, d’hommage à ces dernières années de la vie, d’hommage aux plus fragiles d’entre nous. L’EHPAD est un des rares lieux de vie où celui qui paie n’est pas celui qui prend les décisions. « On m’a changé de place à table » ; « on entre dans ma chambre plusieurs fois par jour, sans m’en demander l’autorisation, sans frapper » ; « on fait ma toilette sans me parler » ; « on m’habille sans que je puisse donner mon avis sur le choix de mes vêtements » ; « on pousse mon fauteuil sans me dire où on me conduit », entend-on dans la maison de retraite.
Portraits, crucifix et peigne à cheveux, motifs vintage de papiers peints fleuris ou de housses de coussin: Lionel Jusseret, se glisse, s’immisce, devient lui-même invisible devant ces invisibles. On ressort de ce livre avec des questions : « Sont-ils heureux ou tristes ? À quoi pensent-ils ? De quoi rêvent-ils ? » Seul le sommeil a l’air de les apaiser. Le photographe est en pleine osmose avec ses sujets, il les sublime. Dans l’une des images, une partie de scrabble est en cours. Un mot est composé et prêt à être mis sur le plateau : « larme », mot compte double.
Les impatientes de Lionel Jusseret publié par les éditions Loco, 105 pages, 25€