Photographe, photo-journaliste et plongeur professionnel, Alexis Rosenfeld a voulu partager avec Blind la formidable aventure photographique, scientifique et humaine à laquelle il participe avec l’Unesco et la Fondation 1 Ocean : la rencontre avec la plus grande migration animale du monde au large de l’Afrique du Sud.
Membre de la dernière expédition du commandant Cousteau à Madagascar, il a pris part à l’épopée de la Comex (Compagnie maritime d’expertises) de Marseille ou encore participé à la découverte de l’épave de l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry. Il nous raconte ici, en textes et images, cette nouvelle aventure au cœur du miracle de la biodiversité marine.
Pour ce troisième et dernier épisode, Alexis Rosenfeld nous raconte ici la rencontre unique et si rare avec une baleine donnant naissance à un baleineau. Un instant de grâce et d’émotions vécu au cœur de la plus grande migration animale du globe.
Épisode 1 à retrouver ici / Épisode 2 à retrouver ici.
Lundi 25 juillet 2023 – carnet de bord n°3 : Une rencontre inoubliable
« Ce qui est important quand tu es photographe, c’est d’avoir une quête. La photographie est là pour témoigner de cette quête, pour être un révélateur. J’en ai eu plusieurs au cours de ma carrière, comme celle de retrouver l’avion de Saint-Exupéry. Pour les baleines, c’est pareil. Réussir à saisir la naissance d’un bébé baleineau, c’était un défi personnel.
Quand nous sommes tombés sur ce baleineau, il y avait encore le cordon ombilical. On s’est alors dit « mais qu’est- ce qu’on fait ?! ». Il y avait toute l’équipe de l’Unesco et 1 Ocean. On voyait le bébé qui était très clair, tout mou, encore fripé. Il ne mesurait rien du tout, un asticot par rapport à sa mère. Il venait de sortir, ça datait de quelques heures. Je n’avais jamais été aussi près de ce moment- là. Il y avait quelque chose de très symbolique, très émouvant.
S’est donc rapidement posée la question de notre présence. Je me suis dit « Qu’est- ce que j’aimerais me mettre à l’eau et faire une photo de ce bébé. » Mais on a décidé de garder nos distances et de faire du drone. On voyait la mère qui s’en occupait beaucoup. Il y avait comme une forme d’étreinte. Elle le prenait, elle l’aidait à respirer en le sortant de l’eau, en le poussant délicatement. Elle ouvrait ses nageoires, elle se mettait sur le dos et elle le prenait comme dans ses bras. Il y avait quelque chose de magique, presque irréel, comme dans un dessin animé.
C’est incroyable parce que quand elle ouvre les nageoires, et que le bébé passe alors qu’elle est sur le dos, il y a quelque chose de si affectueux dans cette naissance. Quand tu es témoins de ça, tu as envie de lui donner un prénom à ce bébé !
Thomas était à la vidéo et moi en drone photo. C’était fou de voir cette maman s’occuper d’un petit comme à la maternité, en le réconfortant, en le réchauffant. Et lui, il jouait autour, il était un peu maladroit, c’était drôle à voir. Du ciel, en vue aérienne, il y a ce côté majestueux où tu vois tout ce qui se passe. Tu as forcément envie de te rapprocher. Mais l’idée c’était quand même de garder cette distance. Tu sais aussi que c’est, à cet instant, le dernier moment paisible de sa vie. Il va être confronté aux filets des pêcheurs, à la terrible loi de la chaîne alimentaire… C’était peut-être son dernier moment de tranquillité.
Ce n’était donc pas opportun de plonger et d’aller chercher une photo à ce moment-là. La mère faisait route avec lui tout doucement, c’était peut-être un peu trop perturber cet incroyable moment d’intimité. Il faut à chaque fois se demander « quelle est la position que je dois adopter. Est-ce que je suis respectueux des messages et des règles que je préconise et que je prône ? Si ce n’est pas le cas, je n’y vais pas. » C’est comme les photographes de guerre, il faut avoir une idée de la frontière à ne pas franchir. Et cette limite est assez fine. En revanche, je pense que s’il y avait eu de la prédation sur le bébé, je me serais mis à l’eau. Lui et sa mère auraient été sous tension et moi, je n’aurais pas été gênant, j’aurais été invisible.
Une autre rencontre étonnante, c’est cette photo du dauphin avec la sardine, c’était un défi photographique. Je voulais voir en détail comment ils mangeaient. Je ne savais pas si c’était possible à faire parce qu’ils vont extrêmement vite. Ils sont à plus de 50 km/h quand ils passent à côté de toi. Il faut alors arriver à saisir le moment où ils passent avec peu de lumière et une eau trouble, ce qui est très compliqué. En général, j’ai deux ou trois boitiers avec des optiques différentes. Là, j’avais changé tous les paramètres de l’appareil pour pouvoir prendre les dauphins en rafale, en mode suivi sur l’autofocus. Ca faisait une heure que j’étais dans l’eau, concentré sur leurs mouvements pour tenter d’anticiper leur passage. Comme ils n’ont strictement rien à faire de toi, tu n’existes pas, ils passent à grande vitesse à côté et c’est à ce moment-là qu’il faut les suivre en rafale. Objectivement, je n’ai pas vu la photo quand je l’ai prise, tellement ça allait vite !
A contrario de pas mal de missions, on a eu beaucoup plus que ce qu’on avait imaginé. On a dépassé nos attentes en termes de cinématographie et de photographie. Et on pourra, je pense, proposer après la deuxième partie de la mission en janvier un très bon premier documentaire animalier de 52 minutes destiné à la chaîne Arte. Je trouve juste génial de pouvoir encore s’émerveiller aujourd’hui de ces miracles de la nature et de raconter et partager cette folle aventure du vivant. »
La mission portée par l’équipe de 1 Ocean et l’Unesco est suivie par une équipe documentaire de la chaîne Arte. Deux documentaires seront réalisés par John Jackson et Thomas Labourasse, de Lacaz’a Productions.