Le 25 janvier 2011 éclatait la Révolution égyptienne. Suivant des années de mécontentement à l’égard du régime d’Hosni Moubarak, le mouvement populaire avait fait de la place centrale du Caire, la place Tahrir, l’épicentre de la protestation. Dix ans plus tard, cette même place est déserte, tant en raison de la crise sanitaire que du changement politique egyptien. Au centre, où avaient été érigées les tentes de fortune des manifestants se dresse à présent un monument sans rapport.
Contre l’oubli
En dix années se sont effacés les souvenirs et les symboles de la Révolution, déformés par l’histoire. « En mémoire du 25 janvier 2011. À un moment dans la conscience égyptienne ou idéalistes et pragmatiques se sont alliés pour la dignité et le respect de notre peuple. Que ces voix prévalent », écrit la photographe Laura El-Tantawy en dédicace de son livre.
Dix ans après la Révolution, elle publie une nouvelle version de son ouvrage In The Shadow of the Pyramids, qui suivait alors le chaos émotionnel qui a agité la photographe à son retour des Etats-Unis, en 2005, et le tourbillon politique qui transformait l’Egypte à ce moment-là.
Ni les photos ni les textes n’ont changé. Seul leur ordre est différent. Le livre est dorénavant chronologique, chaque image étant tout d’abord masquée, sous une double page pliante n’indiquant sobrement qu’une date – une date que l’on pourrait prendre au premier coup d’œil pour un numéro, anonyme comme ceux qui ont porté la Révolution en 2011. Laura El-Tantawy a quand elle bien gardé son style inimitable: tout en suggestion.
« Ce livre est né de la responsabilité d’honorer mon rôle de témoin, de chroniqueuse visuelle de l’un des chapitres les plus importants de l’histoire égyptienne moderne », dit Laura El-Tantawy. « Je voulais que ce soit un livre pour se souvenir de ces événements, pour ne pas les oublier. » Les dates, seul élément que l’on voit en tournant les pages, ancrent cette version dans un contexte avant tout historique.
Une réflexion sur l’objet
Par la même occasion, Laura El-Tantawy fait une expérimentation d’éditing. Ici, la chronologie est le seul critère de séquençage. En regardant cette version « 2.0 », comme elle la nomme, il est intéressant de voir les différences de perception par rapport au livre original. La poésie du langage visuel de la photographe est toujours présent, mais l’ensemble est plus saccadé, plus neutre.
Ce qui reste de la première version, c’est son ancrage dans le souvenir, dans l’enfance de la photographe a travers des photos tirées de ses archives familiales. En première et dernière de couverture, elles plongent l’ouvrage dans le champ du souvenir et de l’intime. Et du même coup, elle donne à chacun la possibilité de se souvenir, de ne pas oublier l’espoir qui les avait animé 10 ans plus tôt. « Cet appétit pour le changement dans le pays est toujours là et, s’il ne se matérialise pas sur le plan politique, il se concrétise ailleurs. Il y a quelques mois, un groupe de jeunes femmes ont révélé qu’un homme harcelait et violait des femmes. Les médias se sont emparés de l’histoire et je veux penser que cela est possible grâce au mouvement d’il y a 10 ans. »
Par Laurence Cornet
Laurence Cornet est directrice éditoriale de l’association Dysturb, journaliste spécialisée en photographie, et commissaire d’expositions indépendante, à Paris.
In The Shadow of The Pyramids, Laura El-Tantawy
10-Year Anniversary Edition
£ 90
Précommandes ouvertes ici