Avec une rétrospective, les artistes peuvent étirer le temps à travers l’espace pour avoir une meilleure idée de leur travail, à la fois comme une progression chronologique et comme un récit autobiographique. Pour le photographe britannique Nick Waplington, l’histoire a commencé bien avant sa naissance, dans le quartier du Broxtowe council estate construit à Nottingham entre les deux guerres, là où son grand-père avait vécu pendant un demi-siècle.
De nombreux habitants du quartier de cette ville du centre de l’Angleterre ont travaillé dans les mines de charbon. Un travail pénible et dangereux auquel le père de Nick a échappé grâce à ses études : il est devenu physicien nucléaire. Waplington est né à Aden, au Yémen, en 1965, et fera de nombreux voyages avec sa famille avant de retourner au Royaume-Uni dans les années 1970.
Alors que le pays sombre dans une tourmente politique et économique, le jeune Waplington se mêle à une foule plus âgée qui lui fait découvrir le son de la rébellion : le punk rock. Il dessine les couvertures et conçoit les mises en page de fanzines locaux, avant de rejoindre un groupe appelé Totally Devoid. Le punk radicalise une nouvelle génération de jeunes. Waplington participe aux événements organisés par Rock Against Racism et aux marches en soutien à la Campagne pour le désarmement nucléaire.
« C’était une époque de résistance et de rébellion dans les squats, sur les campus et dans les chambres des adolescents de la classe moyenne. C’était aussi l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, et Thatcher avait qualifié Nelson Mandela de ‘terroriste ‘ », raconte Waplington dans une interview pour i-D. 3. « Il y avait des manifestations dans la rue 24 h/24, et j’y allais régulièrement pour apporter mon soutien. Bien sûr, j’avais toujours mon appareil photo à la main. »
Redéfinir le paysage de l’art
En 1986, lors de ses visites à son grand-père, Nick Waplington photographie le Broxtowe council estate et la communauté locale. Il poursuivra ce travail pendant 15 ans et publiera deux livres : Living Room (1991) et Weddings, Parties, Anything (1995).
Nick Waplington: Comprehensive évoque de manière poignante la radicalité avec laquelle le photographe montre la réalité telle qu’elle est. Les chroniques de Waplington de la vie des familles et des communautés de la classe ouvrière sont brutes, empreintes d’une sincérité totale, sans la moindre prétention.
On accuse le photographe d’ « exploiter » les gens de la classe ouvrière en les présentant tels qu’ils sont vraiment : en surpoids, négligés et vulgaires. Aux yeux de ceux qui mesurent la valeur humaine aux conformismes, Waplington accomplit l’impensable. Scandalisant les regards en suggérant que le chaos non dissimulé peut être considéré comme de l’art.
Waplington se rend dans des lieux où l’on se montre sans fard, comme dans les boîtes de nuit de New York : Au Sound Factory, au Jackie 60 et au Save the Robots, l’excentricité règne en maître. Ici, la nudité fait simplement partie du look de chacun, en même temps que circulent kétamine ou ecstasy.
Retour aux sources
Entre 1990 et 2000, Nick Waplington parcourt le globe, réalisant quantité d’œuvres incroyables, rassemblées dans Comprehensive. L’ouvrage comprend des séries immersives telles que « West Bank Projects » (2008) en Palestine.
L’année suivante, Waplington retourne dans la maison de son enfance pour passer du temps auprès de son père, atteint d’un cancer. Dans le décor de sa jeunesse, le photographe réalise « Made Glorious Summer » (2014), une exploration du temps, de la mémoire et du deuil, révélant comment notre vie évolue en spirale sans que nous en ayons conscience.
Ici, le passé et le présent s’entrelacent pour créer un avenir non défini, tout en nous invitant à réfléchir sur la manière dont nos passions guident nos âmes. L’œuvre de Waplington nous rappelle que les réponses que nous cherchons peuvent se trouver au-delà de nos présupposés, de nos préjugés et de nos jugements sur la nature de la vie elle-même.
Nick Waplington: Comprehensive, éditions Phaidon, 89,95 $.