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L’âge d’or de James Barnor

Les Rencontres d’Arles rendent hommage à James Barnor, né au Ghana en 1929. De son studio Ever Young, ouvert à Accra en 1953, à ses années chromatiques du Swinging London, 2 expositions retracent l’itinéraire d’un homme intuitif qui n’a jamais arrêté de croire au pouvoir de la photographie.
Une vendeuse du magasin Sick-Hagemeyer, Accra, 1971 © James Barnor

Il y a un certain enchantement à découvrir la vie d’un homme, encore inconnu il y a peu, voué à la photographie comme si elle était sa mère nourricière. C’est le récit de cet accomplissement visuel, un témoignage indéfectible, que raconte James Barnor dans l’exposition « Stories. Le Portfolio 1947-1987 », présentée à LUMA dans le cadre des Rencontres d’Arles.

Or, James Barnor vient de fêter ses 93 ans. L’hommage pourrait paraître tardif. Il a été heureusement précédé d’acquisitions de 69 tirages, dont une majorité de vintages, par le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et d’autres expositions, dans son pays natal, le Ghana, à la Nubuke Foundation, il y a deux ans, ou à la galerie Clémentine de la Féronnière, à Paris, en 2015. « Il a un profil unique, une insatiable curiosité, et c’est un travailleur acharné », souligne cette galeriste enthousiaste, enracinée sur l’Île Saint-Louis (depuis 2010), et qui a édité son premier livre, Ever Young« James était en avance sur son temps et sur tous les photographes du monde entier, c’est un précurseur. Son parcours est inédit, entre Afrique et Europe. Ses archives, soit 32 000 négatifs que nous avons numérisés, ont un caractère historique, c’est un vrai patrimoine »

Studio Ever Young, Accra, vers 1954 © James Barnor

James Barnor est né le 6 juin 1929 à Accra, aujourd’hui Ghana, alors Côte-de-l’Or, sous un gouvernement colonial britannique. La photographie lui est familière depuis l’enfance, il se souvient que son père « emmenait ses sœurs » chez J.K. Bruce Vanderpuije (1899-1989), dont le studio, Deo Gratias, dans le quartier de Jamestown, était très réputé. Son cousin, J.P. Dodoo, photographe de studio, l’initiera à la photographie. Ses premiers portraits sont réalisés dans la rue, à la lumière naturelle, avec une toile de fond empruntée à son oncle. En 1953, Barnor ouvre son propre studio, Ever Young, dans Jamestown, au bord de la côte atlantique. On y vient, de jour comme de nuit, pour fêter un mariage, un diplôme, la fin d’une répétition d’une pièce de théâtre, ou garder trace d’un aveu d’élégance, ainsi Melle Abbew, de profil, assise pensivement sur un tabouret, devant un ciel très nuageux.

Mais Barnor n’est pas qu’un studiotiste renommé, c’est aussi un reporter formé à l’école du Daily Graphic, comme il l’explique à Margaret Busy et Francis Hodgson : « (…) The Daily Graphic envoyait des photographes prendre des clichés sur le vif, dans l’idée de produire, non des portraits de studio, statiques, mais des images informelles, montrant des gens en train de faire des choses. Le lendemain, les gens pouvaient se voir dans le journal. Cela a profondément changé l’attitude des photographes, y compris celle des amateurs, qui ont commencé à faire des photos non posées, moins conventionnelles, à la manière de celles du Daily Graphic. » 

Constance Mulondo, Drum cover girl, à l’université de Londres, avec le groupe The Millionaires, Londres, 1967 © James Barnor
Des amis au mariage de Monsieur et Madame Sackey, vers 1966 © James Barnor

Le jour de l’indépendance, le 6 mars 1957, James Barnor travaille pour l’agence internationale Black Star. Dans son objectif, lors de la célébration, le nouveau premier ministre et futur président de la République du Ghana, Kwame Nkrumah (1909-1972), considéré comme le père du panafricanisme. La veille, James Barnor s’est baladé avec Jim Bailey, le fondateur de Drum, lancé en 1951, la même année que The Daily Graphic, à Johannesburg (Afrique du Sud). Surnommé « la bible urbaine et noire » des townships, ce magazine anti-apartheid fut, écrit Vincent Godeau, auteur d’un livre sur la photographie africaine, « une révolution culturelle en Afrique du Sud. (…) Jim Bailey et son équipe donnèrent aux Noirs une réelle visibilité sociale. Jim Bailey visa et atteignit le tirage de quatre cent mille exemplaires : Drum fut non seulement diffusé en Afrique du Sud, mais aussi au Ghana, au Nigeria et en Afrique de l’Est. »

Un studio réputé + The Daily Graphic + Drum. On pourrait croire James Barnor, qui aime à se dire chanceux (« Lucky Jim »), entièrement satisfait. Il ne l’est pas. Deux ans après l’indépendance, en 1959, il s’envole pour l’Angleterre et s’y établit jusqu’en 1969. Pourquoi ? « Pour approfondir ses connaissances ». Un idéal de perfection : tout est là de cet homme attentif aux autres, toujours épris de la photographie et de ses métamorphoses, ainsi que de la couleur qui le charme littéralement. Il suit des cours du soir au London College of Printing, s’initie à la couleur au laboratoire photographique Colour Processing Laboratory (CPL), devient assistant technique au Medway College of Art, à Rochester. Tout en continuant à collaborer au magazine Drum au cœur d’un nouveau décor, Londres, oasis multiculturelle où il se plaît. Et qu’il utilise comme une toile de fond en mouvement, sans effet de style et sans oublier son pays, comme lorsqu’il immortalise une soirée dansante après une représentation de E.T. Mensah, « le roi du highlife ».

Ses photos de sa période londonienne, pour Drum notamment, jouent à la fois sur un effet de surprise et une intuition artistique parfois doublée de ce grain de fantaisie qui est sa signature. Le Ghanéen Mike Eghan, célèbre animateur radio à Piccadilly Circus, devant une affiche lumineuse Coca-Cola. Erlin Ibreck, l’un de ses modèles préférés rencontré à une station de bus, posant à Trafalgar Square, entouré de pigeons. Il y a chez James Barnor un souci de transparence et de simplicité, il n’est pas question d’embrouiller le cadre et de le remplir avec des choses inutiles, il s’agit, en quelque sorte, d’ôter tout artifice à la photographie. 

James Barnor au studio Agfa-Gevaert à Mortsel, Belgique, 1969 © James Barnor
Vendeuse de Sick-Hagemeyer, Accra, vers 1972 © James Barnor

À son retour à Accra, en 1969, il ouvre le premier laboratoire couleur au Ghana, puis, en 1973, reprend le portrait au sein de son nouveau studio, X23. Années fastes, qui le verront aussi concevoir des publicités ou des pochettes de disques. Du Ghana, ici en Europe, nous connaissions les photographies mythiques de Paul Strand, ou celles, vives et attachantes, de Marc Riboud parues dans le Ghana de Jane Rouch en 1964 (Atlas des Voyages). Désormais, il est impossible d’imaginer le Ghana sans penser à James Barnor.

« Stories. Le Portfolio 1947-1987 » du 4 juillet au 25 septembre 2022 à la Tour Luma à Arles. Cliquez ici pour visiter la tour LUMA et réserver votre créneau.

James Barnor, The Roadmaker édité par Maison CF/ RRB Photobooks. Texte de Damarice Anao. Disponible ici.


Pour en savoir plus:

J.K. Bruce Vanderpuije, et le studio Deo Gratias, Ghana Photo Memories édité en 2007 par Filigranes, textes de Thomas Pelletier, Joe Nkrumah, Pierre Jacquemot.

Photographes d’Afrique de l’Ouest, l’expérience Yoruba, par Erika Nimis, éditions Karthala, 2005. 

La photographie africaine contemporaine par Vincent Godeau, L’Harmattan, 2015.

Togo-Ghana, Revue Noire, n° 32, sous la direction d’Henri Assila et de Bruno Airaud, 1999.

Chez la famille d’Ataa Quarcoopome à l’occasion du mariage de James Cousin, Amanomo, Accra, fin des années 1970s, Accra, vers 1970-71
Des enfants habillés dans des costumes identiques, Accra, 1970s © James Barnor
Des membres du club Tunbridge Wells Overseas se reposent après une balade dominicale estivale sous un soleil brûlant, Kent, vers 1969 © James Barnor

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