« Il n’y aura jamais d’autres Corky Lee », déclare le photographe An Rong Xu. Connu tout au long de sa vie comme le « lauréat incontesté et officieux de la photographie asiatique américaine », Corky Lee a documenté les communautés asiatiques et des îles du Pacifique (AAPI) aux Etats-Unis durant cinq décennies, s’efforçant de briser les stéréotypes selon lesquels les Américains d’origine asiatique sont dociles, passifs et, par-dessus tout, étrangers à ce pays.
Corky Lee’s Asian America fait office de rétrospective du travail du photographe, depuis ses débuts à Chinatown (New York) dans les années 1970 jusqu’à son décès prématuré dû au Covid en 2021. Le livre présente des photographies inédites ainsi que ses images les plus connues.
Dans les textes qui émaillent le livre, des écrivains, des artistes, des activistes et des amis de Corky Lee, tous asiatiques d’Amérique, reviennent sur sa vie et sa carrière. Ils s’efforcent de fournir un contexte historique et culturel aux images. Les essais comprennent un avant-propos de l’écrivain Hua Hsu et des contributions de l’artiste Ai Weiwei, de la cinéaste Renée Tajima-Peña, de l’écrivain Helen Zia, du photographe Alan Chin, de l’historien Gordon Chang et du dramaturge David Henry Hwan, entre autres.
Corky Lee est né en 1947 dans le Queens, à New York. Il grandit dans les années 1960 et 1970 au cœur d’une remarquable période de changements politiques et sociaux, du mouvement des droits civiques à la guerre du Viêt Nam. L’époque et l’activisme social façonnent ainsi l’homme et l’attirent vers la photographie.
« Au début des années 1970, Corky cherchait un moyen de documenter les conditions de logement dans son quartier, qui, selon lui, nécessitaient d’être améliorées », raconte le frère du photographe John Lee. « Il se plaignait souvent de ne pas être très doué pour l’écriture, mais il était conscient de l’adage selon lequel une image vaut 1000 mots. Il a donc emprunté un appareil photo à un ami et a appris à s’en servir pour documenter la vie des gens dans le Lower East Side, à New York. »
Par la suite, Lee est non seulement devenu photographe, mais aussi historien et artiste. An Rong Xu explique : « Il y a deux facettes au travail de Corky. Souvent, il était plus historien qu’artiste, mais lorsque ces deux facettes se rencontraient, ses photos devenaient magnifiques. Son travail témoigne de la volonté et de la détermination d’un homme à faire en sorte que l’Amérique ne puisse jamais effacer l’histoire et la mémoire du peuple américain d’origine asiatique. »
Ces photographies qui sont à la fois belles et constituent des documents historiques soulignent l’importance du travail de Lee, qui s’étend au-delà de la communauté des Américains d’origine asiatique, et s’intègre tout bonnement dans l’histoire des États-Unis.
Corky Lee a tout photographié: manifestations, scènes de rue, festivités du Nouvel An lunaire, événements politiques, concerts, spectacles de danse, salons médicaux, façades de magasins, manifestations sportives, soirées en ville, quotidien des gens au travail, vie familiale à la maison. Un regard unique sur ces communautés, et un travail comme jamais réalisé auparavant. « Le travail de Corky est un acte radical de protestation. Personne n’a utilisé la photographie comme lui pour défendre ces personnes », déclare An Rong Xu. « L’hommage qu’il reçoit est un peu tardif. Dans ses archives, il y a tellement de choses à décortiquer au-delà de ses seules photographies. »
Le photographe Alan Chin, qui connaît Corky Lee depuis leur rencontre en 2001, lorsque le premier a été chargé de photographier le second pour le New York Times, explique également l’importance de ces images: « De nombreux photographes, chinois ou non, avaient déjà photographié Chinatown. Mais Corky a été le premier à le faire avec l’intention d’utiliser ses photos pour contribuer à l’affirmation de l’identité sino-américaine et asiatique-américaine. Lorsqu’il a commencé, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, le quartier chinois de New York était encore perçu par la société blanche américaine comme un lieu exotique et étranger, un stigmate qui n’a pas encore été complètement surmonté. Des années plus tard, ses photographies d’époque sont devenues très précieuses, documentant des us et coutumes aujourd’hui disparues. »
L’un des derniers travaux de Corky Lee a consisté à documenter sa communauté durant la pandémie de coronavirus. Le virus a durement frappé les quartiers chinois dans tous les Etats-Unis, et un racisme en raison de l’origine géographique du Covid s’est également installé. « Il déambulait partout dans le quartier chinois ; aucun événement n’était trop petit ou trop humble pour qu’il y assiste et le photographie. La dernière fois que je l’ai vu, c’était un mois ou deux avant sa mort, lorsqu’il a organisé une exposition de photos en plein air dans un kiosque à journaux inutilisé de la rue Mosco », se souvient Alan Chin. « Ce coin de rue porte désormais son nom, le “Corky Lee Way”. Nous avons eu une brève conversation et j’ai pensé que je le reverrais bientôt. Et puis il est mort. De toutes les personnes que nous avons tragiquement perdues à cause du COVID, je n’aurais jamais imaginé que Corky en ferait partie. Il semblait bien plus jeune que ses 73 ans, faisant honte à des photographes bien plus jeunes par son énergie et sa passion. Il était une source d’inspiration pour les photographes américains d’origine chinoise et asiatique du monde entier. C’était un ami et un collègue très cher. »
Indéniablement, les 50 ans de photographies de Lee ont encore beaucoup à raconter. Et la prochaine génération de photographes peut également apprendre de son dévouement. « Corky a trouvé une vocation dans la vie et a dû travailler très dur pour poursuivre ses rêves. J’espère que la jeune génération apprendra qu’il n’y a pas de véritable raccourci vers le succès. Corky a essuyé de nombreux refus dans son travail, mais il n’a jamais abandonné et, en cours de route, il a réussi à faire publier les histoires qu’il voulait raconter », estime Karen Zhou, ancienne partenaire du photographe. « S’il était là, il dirait qu’il faut vraiment y consacrer du temps et des efforts. »
Corky Lee’s Asian America est publié par Clarkson Potter, et disponible au prix de $50 ici.