L’exposition présentée à la Maison de la Suède – l’ambassade de Suède à Washington, DC, Etats-Unis – rassemble vingt-cinq illustrations de la carrière d’un photographe exigeant, maîtrisant parfaitement son sujet, dans un espace peint en noir afin de mettre en valeur ses images de la vie quotidienne saturées de couleur. Un travail qui frappe visuellement, avec son explosion de couleurs, encore vivifiées par l’utilisation du flash intégré : ainsi la banalité quotidienne se trouve-t-elle magnifiée.
« Le choix de montrer les photographies de Lars Tunbjörk s’imposait, en ce printemps 2023 marqué par la présidence suédoise de l’UE », déclare Hélène Larsson Pousette, responsable des affaires culturelles à l’ambassade. « Ses photos sont pleines de chaleur et d’humour, et révèlent une fascination profonde pour la solitude des gens, pour leur désir de donner un sens à leur existence… De nombreux Suédois se reconnaissent dans ses photographies. »
Un troisième oeil
Durant sa carrière interrompue par une crise cardiaque, à l’âge de 60 ans, Tunbjörk a accumulé plus d’un demi-million de négatifs. Sa réflexion sur l’absurdité des choses va au-delà des frontières de son pays natal, comme s’il était doué d’un troisième œil pour explorer, avec une méthode énergique, l’environnement urbain en général.
Dans son image la plus emblématique, peut-être, Times Square, New York, 1996 (ci-dessous, à gauche), le mélange dynamique des formes et des couleurs forment un décor urbain et semblent arrêter le temps. On ne distingue la présence humaine qu’après celle des formes et des couleurs, soigneusement agencées dans un hommage à Mondrian. Les carrés jaunes prédominent dans cette image très nette, réalisée au petit matin ; elle est dans l’esprit de la majorité des photographies de Tunbjörk, tirant parti du flash intégré, de la précision optique de l’Hasselblad, et du choix du lieu où elles sont prises.
Il est très difficile de reconnaître un photographe par quelques-unes de ses images, mais c’est le cas de Lars Tunbjörk. Ses premiers travaux en noir et blanc (tels que Island/Iceland 1986) figurent parmi les meilleurs exemples d’images de rue documentaires, dans la lignée de Chris Killip et Josef Koudelka.
Son portrait marquant d’Ingmar Bergman (1984), évoquant le style de Paolo Roversi, ainsi que ses œuvres en couleurs saturées telles que Tomteland et Mora (1988), Fageras et Öland (1991), révèlent ses influences en même temps que la quête d’un langage personnel.
La fin des années 1980 et le début des années 1990 sont des périodes particulièrement fertiles pour Tunbjörk. Sa voix s’affermit lorsqu’il commence à juxtaposer l’étrange à l’ordinaire dans ses images, jonglant entre humour et empathie. Non seulement nous nous reconnaissons dans ces représentations de la vie quotidienne mais, plus profondément, nous entrons en connexion avec le pathos et la mélancolie de la vie moderne.
La couleur met fortement en relief certaines choses que nous tenons pour acquises ; l’utilisation du bleu céruléen, du rouge sang, du jaune décliné en toutes ses nuances vives ainsi que le choix du cadrage créent un univers alternatif, à deux pas de chez nous. À cela s’ajoute l’utilisation du flash intégré, qui dynamise une image déjà surréelle en lui donnant une dimension supplémentaire : résolument, l’artiste maîtrise parfaitement son médium.
Un corpus hétéroclite
En 1995, Tunbjörk est chargé d’illustrer un article sur la richesse en Amérique pour le Times Magazine. Le photographe trouve l’inspiration pour l’une de ces images qui détermineront sa carrière en faisant sauter son sujet sur un trampoline, habillé en rancher (bottes de cow-boy, et tous les accessoires). L’image sera intitulée USA, 1995.
En 1997, lorsque le New York Times Magazine le charge de photographier des bureaux, il a atteint la maturité dans sa quête de saisir l’excentricité qui se cache dans les sujets les plus banals. Seul un artiste habile à détecter l’absurde peut percevoir le détail de quelqu’un travaillant au-dessous d’une table de conférence, tandis que la vie suit son cours dans les bureaux (voir New York, 1997). Notons également Göteborg / Göteborg (1997), un hommage photographique de Tunbjörk à la grande série de Lee Friedlander sur le monde du travail.
De son travail sur la haute couture à Paris, en 2004, à celui qu’il réalisera en Chine en 2010, en passant par Dubaï en 2008, Lars Tunbjörk exerce sa profession sans se départir de son humour et de son goût pour certains instants, parmi la myriade de ceux que nous offre la vie contemporaine. Absorbé par son travail, qu’il réalise rapidement grâce à son instinct et sa maitrise du médium, Tunbjörk va pourtant souffrir de dépression hivernale, ce qui est monnaie courante chez les Suédois en raison du froid persistant et de l’isolement.
Cette maladie s’insinuera dans son travail avec les années – comme en témoignent plusieurs images percutantes, mais pleines de tristesse – et il aura de plus en plus de mal à y faire face. Comme le dit Kathy Ryan (directrice de la photographie au New York Times Magazine) dans son hommage au photographe :
« Ce qui est beau dans le fait d’être un artiste, un écrivain, un musicien, c’est qu’on laisse quelque chose derrière soi. Et Lars a laissé quelque chose d’extraordinaire derrière lui. Lars a laissé des images qui vont inspirer les photographes, qui donneront, pour les spectateurs, un sens à ce monde dans lequel nous vivons – et ceci est positif. Il nous a quitté trop jeune, cela va sans dire, mais chacun de nous peut tirer bénéfice de ce corpus d’œuvres. »
Lars Tunbjörk, A View From the Side. House of Sweden. Du 4 Mars au 27 Août 2023.