Dès ses débuts, la photographie s’est imposée comme un médium singulier, sa nature mécanique offrant une nouvelle manière de voir et d’enregistrer, et contrariant toute forme d’immobilisme. Sa simplicité trompeuse, la marge d’erreur qu’elle laisse et sa reproductibilité à l’infini ont défié une conception traditionnelle de l’art, qui exige qu’une œuvre soit unique. Bien que les photographes aient longtemps cherché à faire reconnaître et estimer leur travail comme de l’art, il aura fallu attendre 150 ans avant que les cercles artistiques le reconnaissent en tant que tel. Et il n’est guère étonnant que les artistes eux-mêmes y aient contribué.
Critique photo au New York Times de 1981 à 1991, Andy Grundberg a joué un rôle prédominant dans la valorisation de la photographie au sein du monde de l’art. En août 1971, il débarque à New York avec la ferme intention de réaliser son rêve de jeunesse, devenir poète. En pleine transition, le quartier de Soho cesse alors d’être un centre de production industrielle pour devenir un quartier créatif. C’est dans ce contexte que Grundberg décroche un travail d’ouvrier journalier, participant à la transformation d’immenses bâtiments industriels en lofts. À l’époque, le monde de l’art new-yorkais a ses quartiers sur la 57ème rue, à deux pas de Sutton Place, mais à la fin de la décennie, le cœur des opérations se déplacera vers le centre-ville.
La photographie, qui est un médium aux vastes possibilités, a tout d’abord joué un rôle fonctionnel sur la scène artistique contemporaine, avant qu’il ne devienne formel. Dans son nouveau livre, How Photography Became Contemporary Art (Yale University Press), Andy Grundberg mêle efficacement l’histoire au souvenir pour relater la transformation des différents médiums dans les années 1970 et 1980. Écrit à la première personne, l’ouvrage passe en revue les artistes et mouvements d’avant-garde qui ont bouleversé la scène artistique, et réfléchit notamment à l’influence du médium sur le féminisme et les artistes de couleur.
Suivez le guide
« L’idée que la photographie n’est plus considérée comme un médium légèrement inférieur – son triomphe en tant qu’art, si vous voulez – est au cœur de mon récit », écrit Grundberg, « mais j’insiste également sur la place cruciale que la photographie et les autres supports utilisant un objectif ont fini par occuper dans notre culture, non seulement en la représentant, mais aussi en la générant en grande partie. »
How Photography Became Contemporary Art constitue ainsi un véritable who’s who des beaux-arts contemporains, une majestueuse fresque de l’époque. A partir d’une rencontre entre Robert Rauschenberg et Andy Warhol en 1962, l’auteur suit la voie tracée par les artistes conceptuels Gordon Matta-Clark, le land artist Robert Smithson, John Baldessari, les performances de Carolee Schneeman et Ana Mendieta, les artistes vidéo tels que Nam June Paik et les photographes, notamment William Eggleston, Stephen Shore, Cindy Sherman, Laurie Simmons ou encore Doug et Mike Starn, tous désireux de faire entrer la photographie au royaume des beaux-arts.
L’ouvrage évoque ensuite les violentes guerres culturelles de la fin des années 1980, la prise à partie du gouvernement américain par des artistes tels que Robert Mapplethorpe et Andres Serrano. Des photographes comme Tseng Kwong Chi, Carrie Mae Weems, et Lorna Simpson ont aussi préparé le terrain pour l’époque que nous vivons, où la photographie est omniprésente. C’est, comme l’écrit Grundberg, « une raison de plus pour rendre hommage aux artistes qui les ont précédés, grâce auxquels la photographie a pu devenir de l’art contemporain ».
Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment Time, Vogue, Aperture, et Vice.
How Photography Became Contemporary Art, publié par Yale University Press, $40.00. Disponible ici.