« Peut-on imaginer un monde sans oiseaux, sans abeilles, sans hérissons ou encore sans ours polaires ?… Non ! Et pourtant… Nous faisons face actuellement à une extinction discrète mais massive des espèces animales aux quatre coins de la planète, mais également juste en bas de chez nous. » C’est par ce constat que Tony Crocetta, photographe, fondateur et directeur artistique de Latitudes Animales a ouvert la 8e édition. Depuis 2008, cette biennale de la photographie animalière de Drancy (Seine-Saint-Denis) gagne du terrain, aux côtés de Montier-en-Der, son homologue de renommée internationale, magnifiant toujours plus les espèces emblématiques, mal aimées ou peu représentées, et que l’on connaît si peu finalement.
L’environnement, une affaire de tous
Le choix de l’affiche a d’ailleurs de quoi émouvoir : une maman ourse polaire avec ses petits. Car c’est ce dont il est question aujourd’hui. Ce symbole du réchauffement climatique devient une espèce prioritaire, touchée par la fonte des glaces, l’obligeant à migrer pour survivre. Et les chiffres du GIEC et sur la biodiversité confirment tristement cet état de fait. Cette photo-affiche est signée par les invités d’honneur Dorota & Bruno Sénéchal, tirée de leur série White on White, représentant dix ans de reportages et d’expéditions dans les régions froides (-57° Celsius).
L’exposition présente quatre espèces en fourrure et plumage blanc (ours polaire, renard polaire, harfang des Neiges, phoque du Groenland) prises dans quatre endroits différents : « Nous étions en quête d’une expérience plus intimiste avec des images que l’on voit peu. », explique Bruno Sénéchal. « Pour les ours polaires, nous sommes partis au nord du Canada sur les traces des mamans, au moment où elles sortent de leurs tanières pour la première fois avec leurs oursons. C’est un instant très court dans leur vie car elles ne restent que 3-4 jours sur les terres avant de repartir sur la banquise pour se nourrir. »
La scénographie, située à l’Espace culturel du parc, nous immerge ainsi dans une reconstitution des immensités glacées, faites de draps blancs. Des photos suspendues lumineuses, tendres et émouvantes dans une variation de ton opalin. « Nous avons photographié les ours polaires le long de la baie d’Hudson. », précise le photographe « L’espèce a perdu 1 mois de chasse sur 6 mois de l’année. Pour autant, il est capable de se réguler. Si la maman sait qu’il n’y aura pas de réserve suffisante, elle donnera naissance à un seul bébé au lieu de deux en moyenne. » Des propos déchirants qui sont les premières conséquences du dérèglement climatique. « Nous étions en limite sud de l’horaire de répartition. », poursuit-il « Certains spécialistes annoncent que d’ici 35 ans, il n’y aura plus d’ours polaires à cet endroit par exemple. Et bientôt, ils ne pourront plus aller plus au nord. Comment peut-on imaginer ces régions sans cet animal fantastique et si symbolique ? »
Capturer la beauté avant liquidation
Ce réveil doit ainsi intrinsèquement prévaloir en matière d’environnement et en faveur de la préservation de notre patrimoine naturel. L’exposition collective, située au même endroit du parc, renforce cette position, mettant en scène dans un esprit jungle une quarantaine d’images signées par cinq photographes spécialisés : Lionel Maye, Carole Reboul, Benoît Féron, Joël BrunetetNicolas Orillard-Demaire. Car comme de coutume avec Latitudes Animales, pas d’appel à projets, le choix se fait par coup de cœur pour représenter la biodiversité dans toute sa richesse et sa vulnérabilité. « Une pierre de plus à l’édifice de la prise de conscience globale », renchérit Véronique Fournier, chargée de programme, animatrice nature du festival et photographe à l’origine de l’affiche de la sixième édition.
Le regard de Carole Reboul, unique femme photographe en solo cette année, se démarque d’ailleurs, invitant à une contemplation de l’infiniment petit (macrophotographie) et de l’infiniment grand (paysages nocturnes) dans sa série « Il était une fois la nuit », issue de son livre paru à l’automne. Des clichés poétiques et délicats, pris aux quatre coins de la France. « Je veux montrer aux gens qu’on passe à côté de merveilles. », indique la photographe. « Comme on les rate, on ne les connaît pas et donc on ne les protège pas. Les insectes ou la nuit, il s’agit toujours d’interconnexion car tout est lié. La faune, la flore et l’être humain ont besoin d’obscurité. »
L’exposition s’accompagne d’une conférence qu’elle donne sur le thème de la préservation du ciel étoilé et de la lutte contre la pollution lumineuse. Car aujourd’hui, quel enfant a encore la chance de pouvoir contempler un ciel étoilé ? Si selon ses mots, « l’urbanisation galopante et la généralisation de l’éclairage artificiel menacent de réduire la nuit comme une peau de chagrin », la Cévenole reste une « éternelle optimiste. » : « Je pratique la photographie nocturne depuis plus de cinq ans. La tendance à prendre en compte l’existence de la nuit se dessine en France. De nombreux lieux vont dans le bon sens. » s’enthousiasme-t-elle. « Des villages éteignent leur lumière. Ce n’était pas le cas avant. Certaines villes ont mis en place des trams noirs, des corridors d’obscurité pour les animaux nocturnes. Sans cette considération, on fait face à un dérèglement complet de leur cycle de vie. »
Ce risque de disparition est également en sous-texte du nouveau projet de Tony Crocetta qui, cette année, expose ses images en grand format dans trois salles du Château de Ladoucette. Le créateur de Latitudes Animales, qui partage son existence entre la France et le Kenya, s’est associé avec le dessinateur-graphiste Marcello Pettineo. Entre photos et dessins, « Chroniques, Contes & Légendes de la savane et de la brousse africaines » relate ainsi 35 ans de voyage en Afrique.« Nous avons observé la déliquescence du monde sauvage africain. », analyse-t-il « Il ne nous reste que quelques miettes d’un paradis perdu et c’est toujours un miracle si nous pouvons les contempler encore aujourd’hui. La biodiversité, africaine comme partout ailleurs, s’éteint en silence. » Ce projet d’une vie est également prévu dans un beau livre à la fin de l’année au format classique et dans une version prestige, conçue par des artisans d’art.
La faune pour la survie de l’espèce humaine
Les photographies exposées captivent ainsi le regard, quand leur beauté visuelle transcende le message. À l’exemple de Joël Brunet en quête de la belle lumière et du cadrage parfait, considérant sa profession comme « une vraie thérapie ». En témoignent ce chat sauvage qui nous fait face et ce groupe de grives litornes plein de poésie. Ailleurs, la série de Nicolas Cegalerba met à l’honneur le mystérieux varan de Komodo, ce reptile d’Indonésie centrale à la langue fourchue.
De son côté, Julien Boulé se focalise sur le tigre « le vrai roi », moins représenté que le lion, pour mieux nous conter son histoire, sa vie, sa protection. Le Belge Jeff Marlier sublime, lui, le chamois des Vosges, emblème de la faune du massif de cette région Grand Est, dans un coucher de soleil flamboyant. Jean-Philippe Borg choisit de nous embarquer sur les terres du Yellowstone National Park pour immortaliser le bison mythique de l’Ouest américain. Quant à Nicolas Orillard-Demaire, il contraste les émotions entre un fou de Bassan cocasse, avec une plume au bec qui n’est pas la sienne, et un lion grimaçant, emporté dans une crue au Kenya.
Plus de 250 photographies à découvrir donc, pour ainsi montrer les interactions indispensables entre les êtres vivants et les écosystèmes qu’il faut protéger, avant qu’elles ne deviennent des cartes postales souvenirs.
Latitudes Animales. 8e édition du 7 au 27 mars 2022. Entrée libre Espace culturel du Parc / 120 Rue Sadi Carnot – Château de Ladoucette / Rue de Ladoucette, 93700 Drancy.