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La mode libérée d’Arthur Elgort

Une exposition met en valeur la joie qui imprègne le travail du légendaire photographe de mode.

Les Rolling Stones et Christian Lacroix ont-ils eu l’occasion de se parler ? Personne ne le sait, mais une chose est sûre : ils se rencontrent dans l’exposition d’Arthur Elgort « On the Move », à la Staley-Wise Gallery de New York

En entrant, on peut voir une photographie des Stones capturés de près, tandis qu’ils se promènent sur un toit, dans le Massachusetts ; et juste à côté de cette image, de jeunes modèles glamour du Christian Lacroix des années 1980 font une pause en coulisses, leur décontraction répondant à celle des musiciens. 

L’espace d’un instant, des figures considérées comme des icônes culturelles appartenant à un autre monde deviennent des gens comme nous. Ils marchent, se tiennent debout et parlent comme nous. Ils sont réels.

Les Rolling Stones, Long View Farm, MA, 1981 © Arthur Elgort
Les Rolling Stones, Long View Farm, MA, 1981 © Arthur Elgort
Christian Lacroix Haute Couture Atelier, Paris, 1988 © Arthur Elgort
Christian Lacroix Haute Couture Atelier, Paris, 1988 © Arthur Elgort

Arthur Elgort, liberté et style « instantané »

C’est en cela que le travail d’Arthur Elgort est magique. Profondément authentiques, les images qu’il réalise depuis plus de cinquante ans s’ancrent dans la réalité – bien que l’authenticité soit loin de caractériser l’industrie de la mode. A ce sujet, le photographe s’explique simplement : « J’ai fait au mieux. C’est tout. »

« Ce n’est pas l’imaginaire qui l’intéresse », explique George Kocis, le directeur de la galerie. « Ses photos de mode s’enracinent dans la vie réelle, celle de femmes qui sont autre chose que des modèles posant devant un objectif. » Dans l’une de ses images, réalisée pour Vogue en 1992, on peut voir Christy Turlington (qu’Arthur Elgort a découverte à l’adolescence) et Naomi Campbell se promener en forêt, en Louisiane. Elles sont là, sous un chêne couvert de mousse, dans une vive lumière : c’est tout – et l’on dirait que c’est par simple coïncidence qu’elles portent de beaux vêtements.

Naomi Campbell et Christy Turlington, Parlange Plantation on False River, Nouvelle-Orléans, LA, Vogue, 1992 © Arthur Elgort
Naomi Campbell et Christy Turlington, Parlange Plantation on False River, Nouvelle-Orléans, LA, Vogue, 1992 © Arthur Elgort
Gail Elliott, Yasmin Le Bon, Christy Turlington et Linda Evangelista, New York City, 1987 © Arthur Elgort
Gail Elliott, Yasmin Le Bon, Christy Turlington et Linda Evangelista, New York City, 1987 © Arthur Elgort

Arthur Elgort fait ses débuts dans la photographie en documentant la danse. Traditionnellement, les représentations des danseurs sont rigides, figées : cela frustre Elgort, qui cherche à infuser de la vie, du mouvement à ses images. Il n’est pas le premier : Avedon a su le faire avant lui – à cela près que le mouvement est calculé, dans les images d’Avedon. A la chorégraphie, Arthur Elgort préfère l’improvisation.

Lors des séances de prise de vue, il privilégie encore, à présent, la lumière naturelle. Interrogé par ses anciens assistants au sujet de l’éclairage de ses images, Arthur Elgort répond : « Je n’utilise pas du tout la lumière. Je ne l’ai jamais fait. J’utilise mes yeux, je me dis : ‘ça va être une bonne photo, je la prends’. » Il n’a pas, dit-il, utilisé un flash depuis vingt ans. 

« Je me dis : ‘ça, c’est bien ; ça, c’est mauvais’ », continue-t-il. « On n’est pas un bon photographe parce qu’on peut tout avoir, tout se payer, mais simplement parce qu’on est photographe. »

Kate Moss au Café Lipp, Paris, Vogue Italia © Arthur Elgort
Kate Moss au Café Lipp, Paris, Vogue Italia © Arthur Elgort
Rubbernecking, Giraffe Manor, Kenya, Vogue, 2007 © Arthur Elgort
Curiosité, Giraffe Manor, Kenya, Vogue, 2007 © Arthur Elgort

« C’est joyeux. C’est dynamique. C’est drôle »

On perçoit nettement, dans l’exposition « On the Move », la spontanéité, la joie de vivre, l’humour d’Elgort – voir sa célèbre photo, prise au Kenya, d’une girafe regardant par une fenêtre du Giraffe Manor, et dont le cou disparaît à l’intérieur (Vogue, 2007), ou encore de Kate Moss debout sur une table, entourée par le personnel du Café Lipp  (Vogue Italia, 1993). 

« Puisqu’on est ici, on pourrait tout aussi bien s’amuser, non ? Notre boulot est merveilleux, comparé à celui d’un avocat », dit-il en riant, et il ne manque pas d’ajouter : « Ne rapportez pas cela à votre père, s’il est avocat. »

La joie d’Arthur Elgort est contagieuse, dit la galeriste Etheleen Staley, qui l’a rencontré pour la première fois dans les années 1960. Styliste pour une campagne publicitaire qu’Elgort réalisait, elle se souvient encore des séances de prise de vue : « Il en faisait quelque chose de si amusant », dit-elle. « Je pense que les gens aimaient vraiment travailler avec lui, c’est visible quand on regarde les photos. » 

Et de fait, Arthur Elgort est connu pour sa bonne humeur depuis ses débuts. « Généralement, les gens qui travaillent dans la mode ne sont pas du tout souriants », dit-elle, et les images d’Elgort le sont. « C’est ce qui caractérise le travail d’Arthur. C’est joyeux. C’est dynamique. C’est drôle. C’est un reflet de lui-même. »

Up, Up, and Away, Fran Summers, West Hampton, NY, British Vogue, 2019 © Arthur Elgort
Up, Up, and Away, Fran Summers, West Hampton, NY, British Vogue, 2019 © Arthur Elgort

De nombreux tirages présentés dans l’exposition « On the Move » proviennent des archives imposantes d’Arthur Elgort. Au cours des séances de prise de vue, il réalisait, naturellement, de multiples photographies ; certaines que l’on peut voir dans cette exposition n’ont pas été sélectionnées pour la publication, à l’époque, mais n’en demeurent pas moins de superbes images. 

Bien que la galerie représente Arthur Elgort depuis près de trente ans, ils ont eu le très grand plaisir de découvrir des images qu’ils ne connaissaient pas. D’autres photographies avaient été publiées auparavant, mais n’avaient jamais été tirées. 

« Nous avons pensé qu’il serait bon de montrer au public des images inconnues, en quelque sorte », explique Kocis. « Nous étions donc très heureux qu’un certain nombre de ces photos n’aient jamais été tirées auparavant. »

Balançoires à Paris, 1990 © Arthur Elgort
Balançoires à Paris, 1990 © Arthur Elgort
Skaters à la Tour Eiffel, Paris, 1990 © Arthur Elgort
Skaters à la Tour Eiffel, Paris, 1990 © Arthur Elgort

Arthur Elgort, de la chance et du talent

Arthur Elgort est toujours au travail. Dans les semaines à venir, son studio s’apprête à accueillir à nouveau ses amies de longue date, les modèles Christy Turlington et Linda Evangelista, qui l’ont choisi comme photographe pour un autre projet visuel. 

À partir du 23 janvier, dans une exposition organisée par Carla Sozzani, Arthur Elgort présentera des images à la Fondation Azzedine Alaïa (Paris) qu’il a réalisées en collaboration avec le défunt designer. « Nous ne parlions pas la même langue et nous nous entendions bien parce que nous aimions tous les deux manger », dit Elgort. « Et aussi, au premier regard, nous nous sommes dit ‘Je fais ceci, et tu fais cela.’ »

Comme Alaia, Elgort a conduit sa carrière en original – ce qu’il continue à être après plus de cinquante ans. Actuellement, son influence se fait sentir dans toutes les photographies documentant la mode et ses coulisses.

Patti Hansen, Lisa Taylor, Beverly Johnson, San Francisco, Vogue, 1976 © Arthur Elgort
Patti Hansen, Lisa Taylor, Beverly Johnson, San Francisco, Vogue, 1976 © Arthur Elgort
Lisa Taylor conduisant sur le pont GW, New York City, Vogue, 1976 © Arthur Elgort
Lisa Taylor conduisant sur le pont GW, New York City, Vogue, 1976 © Arthur Elgort

« Arthur sent la vraie valeur des gens », dit Kocis. « Je dis toujours qu’il photographie les modèles comme s’ils étaient des gens ordinaires, et les gens ordinaires comme s’ils étaient des modèles. » Dans cet esprit, Elgort a photographié sa famille tout au long de sa vie, et aime maintenant photographier ses petits-enfants qui, dit-il, savent déjà poser devant un objectif : « Ouvrez les yeux, et on y va ! », dit-il.

« Nous avons eu la chance d’avoir trouvé quelque chose avec lequel on peut gagner de l’argent, et on adore ça », dit Elgort. Et ce mot de « chance », il l’utilise souvent pour décrire sa carrière (même si la chance n’est rien sans le talent). À ce sujet, Arthur Elgort  répond : « C’est un peu une affaire de chance. J’ai toujours ressenti cela. Mais ça n’est pas un problème pour moi, parce que je sens que j’ai fait du bon travail. »

Donald Harrison, Olu Dara, Jesse Davis, Harlem, NYC, 1998 © Arthur Elgort
Donald Harrison, Olu Dara, Jesse Davis, Harlem, NYC, 1998 © Arthur Elgort

Arthur Elgort : On the Move. Du 8 décembre au 28 janvier 2023. Présenté par la galerie Staley-Wise.

Azzedine Alaïa et Arthur Elgort, En liberté. Exposition à la Fondation Azzedine Alaïa – Paris 4e.

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