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Le cinéma et l’art de la lumière dans les photographies de Sheila Metzner

Paris accueille la première exposition personnelle de l’artiste américaine en France, « Objets de désir », rassemblant des images remarquables, autant par leur texture que par leur lumière.

Une femme presse sa joue contre celle d’une statue en marbre, et tend ses lèvres vers les siennes pour un baiser glacé. Ses joues rosées et la douceur de la fourrure qu’elle porte accentuent le contraste avec la pierre pâle et sévère. Sheila Metzner a photographié cette scène pour Fendi en 1986, l’intitulant The Passion of Rome, mais l’on n’a pas le sentiment d’une image publicitaire. Au contraire, elle semble être une rêverie picturale délicate, issue d’un regard singulier, comme si Sheila Metzner contemplait la scène à travers une lentille de gaze.

Fendi Passion of Rome, 1986. © Sheila Metzner
Fendi Passion of Rome, 1986. © Sheila Metzner
Fendi Uomo, 1988. © Sheila Metzner
Fendi Uomo, 1988. © Sheila Metzner
Fendi Campidoglio, 1986. © Sheila Metzner
Fendi Campidoglio, 1986. © Sheila Metzner

Paris accueille, cette année, la première exposition personnelle de l’artiste en France, « Sheila Metzner : Objets de désir », présentée à La Galerie Rouge. Les murs de la galerie sont illuminés par l’éclat doré de ses images douces et romantiques, qui tiennent à la fois de la peinture et de l’aquarelle, aussi bien dans le tirage que dans la palette de couleurs, inhabituelle en photographie. Quant aux figures, elles vont des plus classiques, telles que son Odalisque, à des représentations expérimentales – voir son hommage solarisé à Man Ray dans Elaine, Man Ray.

Après avoir étudié au Pratt Institute de New York, Metzner est engagée par une agence de publicité, au titre de directrice artistique. Tout en travaillant, elle se passionne pour la photographie, et réalise des images comme si c’était un deuxième métier. Lorsque le conservateur John Szarkowski en choisit une pour l’inclure dans une exposition de 1978 au Museum of Modern Art, elle décide de se consacrer à la photographie à plein temps.

Nude Odalisque, 1986. © Sheila Metzner
Nude Odalisque, 1986. © Sheila Metzner

Bien que nombre de ses images donnent un sentiment de spontanéité, comme si elles étaient réalisées sur le vif, elles sont, en réalité, minutieusement mises en scène. De la même manière qu’un cinéaste planifie ses prises de vue, Sheila Metzner esquisse des storyboards pour les images qu’elle envisage : « A mes débuts, c’était la photographie seule qui m’intéressait, à 100 pour cent. Mon mari a toujours pensé que je devrais être chef opératrice pour d’autres cinéastes – mais je lui disais que je n’avais, tout simplement, aucun désir de traduire la vision d’une autre personne. » Mais réaliser elle-même des films la tentait. Étudiante en cinéma, elle cite Akira Kurosawa comme l’une de ses grandes sources d’inspiration. Et c’est, outre le storyboard, des techniques propres au cinéma que Sheila Metzner a importées dans son travail photographique.

« Ma première mission a été de photographier la haute-couture parisienne pour le magazine Vogue américain, et nous devions travailler de nuit, car les clients regardaient les vêtements pendant la journée. » Elle embauche, comme collaborateur, un directeur de la photographie, Peter Sova, qui lui apprend à utiliser l’éclairage HMI, une technique cinématographique pour recréer la lumière du jour. « La plupart des photographes travaillent avec des lampes au tungsten », explique-t-elle. « Mais je n’ai pas, dans toute mon expérience de l’éclairage, utilisé autre chose que ce que l’on utilise en cinéma. Pas de stroboscope, pas de flash : on ne voit pas le sujet de la même manière. »

Tina Chow, 1987. © Sheila Metzner
Tina Chow, 1987. © Sheila Metzner
Rosemary Bracelet, 1985. © Sheila Metzner
Rosemary Bracelet, 1985. © Sheila Metzner
Couture Rosemary Ungaro Hat Vogue Couture Paris, 1985. © Sheila Metzner
Couture Rosemary Ungaro Hat Vogue Couture Paris, 1985. © Sheila Metzner

Sheila Metzner commence bientôt à photographier régulièrement pour Vogue, sous la direction du célèbre responsable de l’édition Alexander Liberman. « Cette époque ne reviendra plus », déclare-t-elle à propos du soutien de Liberman, autant sur le plan créatif que financier. « Il vous poussait à aller plus loin, à suivre votre inspiration. Il était extrêmement encourageant et positif. » Liberman l’aide à créer son premier studio – un genre de soutien que ne fournissent plus, de nos jours, les magazines aux photographes. Les budgets étant réduits, le temps, et les prises de vue, qui duraient auparavant des jours ou des semaines, ne peuvent excéder aujourd’hui vingt-quatre heures. « Les cinéastes, les réalisateurs et même les émissions de télévision ont des budgets énormes, à présent, et un temps considérable pour faire leur travail. C’est là que va l’argent [maintenant], semble-t-il – et non aux magazines. »

Mais être reporter sert sa vocation, lui donne l’opportunité de voyager et photographier d’autres mondes que celui de la mode. «C’était mon billet pour mon travail personnel. Je pouvais travailler à Dubaï, et dire à mon assistant : ‘Allons faire des photos en Égypte’. Il y a une énorme partie de mon travail que personne n’a jamais vu », ajoute-t-elle. Ce travail comprenant des photographies de tribus locales et de paysages, prises lors de voyages en Afrique. « C’est extraordinaire. Des gens tels que les Samburu ou les Maasai sont comme des dieux vivants, tellement liés à la nature. »

Bega Peppers, 1982. © Sheila Metzner
Bega Peppers, 1982. © Sheila Metzner
Mahal. Apt 125, 1980. © Sheila Metzner
Mahal. Apt 125, 1980. © Sheila Metzner
Mahal, Mermaid, 1980 © Sheila Metzner
Mahal, Mermaid, 1980 © Sheila Metzner

Les œuvres présentées dans l’exposition « Objets de désir » sont essentiellement des portraits, s’apparentant davantage, parfois, à des natures mortes, des tableaux organisés avec précision. Dans l’image intitulée Joko, Passion, un nénuphar s’ouvre dans un vase ancien, entre un tableau et une femme, tête renversée en un ravissement paisible – et les teintes assourdies du tirage le rendent difficile à dater, au premier coup d’œil. Mais une photographie se distingue des autres, un hommage à Man Ray intitulé Elaine, Man Ray. L’image solarisée est celle d’un corps de femme, une silhouette semblable à de l’argent liquide moulée dans une robe. La photographie était une commande de Vogue France commémorant la vie et l’œuvre de Man Ray, mais Sheila Metzner n’a pas eu besoin de se laisser convaincre pour rendre cet hommage : « J’ai toujours été inspirée par Man Ray parce qu’il était un véritable artiste, en même temps qu’un photographe – et quelqu’un de réellement intéressant. Et les gens qu’il photographiait l’étaient autant que lui. » 

Il est difficile de déterminer ce qui séduit le plus, dans le travail de Sheila Metzner (romantisme, grain délicat des tirages, symbolisme, etc.), mais sa lumière singulière, éthérée, est un élément particulièrement captivant. Baignant dans cette lueur dorée, les scènes semblent être des moments du passé emprisonnés dans l’ambre, parfaitement cristallisés, un monde fantastique qui a été et n’est plus. Il est heureux que Sheila Metzner ait su le capturer.

John, 1980. © Sheila Metzner
John, 1980. © Sheila Metzner
Rebecca with Gardenia, 1984. © Sheila Metzner
Rebecca with Gardenia, 1984. © Sheila Metzner

Exposition : « Sheila Metzner : Objets de désir », La Galerie Rouge, Paris,  jusqu’au 16 octobre 2022.

Fashion Joko Passion, 1985. © Sheila Metzner
Fashion Joko Passion, 1985. © Sheila Metzner

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