Les rochers y sont grands comme des icebergs, les menhirs des monuments historiques et on y mange des langoustines avec les doigts. Avec 125 bateaux et 570 marins, le port de Guilvinec-Léchiagat est le premier port français de pêche artisanale de France. Une position fièrement revendiquée, dont découle le thème phare du Festival photo : « L’Homme et la Mer ».
C’est sous un grand soleil que s’ouvre cette 13ème édition en pays bigouden, pourtant réputé pour son climat océanique franc. Un climat presque aussi franc que Michel Guirriec, créateur du festival et lui-même fils de pêcheur. Un breton pur beurre, peu féru de protocole. Depuis la première édition, il défend l’ouverture aux publics, les images sont exposées en plein air, c’est un partage d’expériences pour les Guilvinistes comme pour ceux de passage.
Cette année, 15 photographes sont exposés, dont 5 lauréats de la Commande photographique « Radioscopie de la France : regard sur un pays traversé par la crise sanitaire », projet confié à la Bibliothèque Nationale de France par le Ministère de la culture, qui soutient financièrement le festival depuis sa création. Une aide non négligeable qui s’ajoute à celle de la mairie et des bénévoles. Avec un budget de seulement 70 000 euros, Michel Guirriec salue cet « effort généralisé pour poursuivre l’aventure ».
La pêche comme ADN
« La pêche c’est un emploi en mer pour cinq emplois à terre », souligne Michel Guirriec. Peintres, charpentiers, mécaniciens… Irène Jonas les a côtoyés lors de son projet photographique sur l’Armement Bigouden. Photographe et sociologue, elle est devenue une figure bien connue des locaux à force d’arpenter le port. Sa série « La saga des Baras » capture la ténacité et la passion de ces travailleurs de l’ombre.
Car la mer, c’est par là que tout transite : les marchandises transportées par bateau, les câbles de communication sous-marins, les pipelines… Essentielle à notre quotidien, elle est aussi d’une réalité brute. Une vie de forçat que Lorraine Turci a partagé pendant 10 jours, à bord d’un bateau du Guilvinec. Née les deux pieds sur terre, elle y découvre un « mode de vie presque extraterrestre ».
Un monde à part qu’Olivier Jobard raconte à travers ceux qui la côtoient tous les jours. Son projet « À l’école de la mer », donne la parole à la nouvelle génération des jeunes marins pêcheurs issus de l’immigration. Arrivés en France il y a peu, la mer est leur seule voie de sortie. Entre passion et désir d’évasion, ses images montrent qu’être marin pêcheur est une identité qui défie les frontières.
Les femmes et la mer
Ils s’appellent Amiral Barjot, Face à Tout ou Étoile des flots. Ces thoniers construits avant 1960 ont été immortalisés durant l’après-guerre. Avec un espace dédié aux photos anciennes, le Guilvinec devient un musée à ciel ouvert. Un terme que Pierre Karleskind, député européen et président de la commission à la pêche au parlement européen, hésite à utiliser, rappelant que « ces images ne sont pas uniquement un témoignage du passé mais qu’elles se doivent d’être le futur de notre territoire ».
L’objectif du festival est de rendre hommage aux métiers qui ont forgé ce territoire. Des métiers longtemps considérés comme uniquement masculins, ce qui n’a pas empêché les femmes marin-pêcheuses d’assouvir leur vocation. Julie Bourges dresse le portrait de ces femmes fortes, et Frédéric Méry explore leur désir d’émancipation, au sein d’une société japonaise à la tradition patriarcale ancrée. Immergé dans une communauté de femmes pêcheuses, il documente le travail et la vie des « Ama San ». D’avril à septembre, ces plongeuses en apnée partent à la recherche d’algues, de crustacés et de coquillages, qu’elles utilisent pour se nourrir ou faire du commerce. Pionnières d’une époque, il ne reste que 2000 Ama San en 2023, dont 647 en activité dans la préfecture de Mie où la série a été réalisée. La dureté du métier, tout comme le réchauffement climatique, menacent leur activité.
Une porte vers l’ailleurs
Cap sur le Chili. Cette année, et pour la première fois, un pays est l’invité d’honneur. Rodrigo Gómez Rovira, président du Festival international de la photographie de Valparaíso, a souhaité partager ces regards latino-américains sur la mer. Cinq photographes chiliens occupent une partie de la scène du festival. Parmi eux, Alfonso Gonzalez et Ibar Silva, membres du collectif d’artistes Migrar Photo, qui ont traversé l’Atlantique pour poser leurs valises au Guilvinec le temps d’un week-end.
C’est sur le territoire turc que Mathias Depardon a quant à lui pris racine pendant près de six ans. Sa série « Gold Rivers » a déjà été exposée à Arles en 2017, ainsi qu’à Visa pour l’Image et au Festival La Gacilly en 2021. Il y documente la « guerre de l’eau » qui sévit sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, deux géants mésopotamiens au cœur de conflits géopolitiques.
Bien loin de ces réflexions socio-politiques, « Les Mers Fendues » de Tanguy Louvigny nous invite à la rêverie et coupe la mer en deux grâce à une technique de timelapse. Accumulant les prises de vues successives pendant des heures, le photographe crée des films hyperaccélérés rendant compte du mouvement naturel des eaux entre marée basse et marée haute, sur la côte atlantique. Son film « Tidal range », sur les marées de Bretagne, a été récompensé au Time Lapse Film Festival de Joshua Tree en Californie. Un véritable Moïse des temps modernes.
Nourricière, dangereuse, enchanteresse… la mer se révèle sous toutes ses formes au festival photo du Guilvinec. « On a l’impression que le sujet est redondant, à mon avis il est inépuisable », se réjouit Michel Guirriec.
Festival L’Homme et la Mer. Impasse Jules Guesde, 29730 Guilvinec. Du 1er juin au 30 septembre 2023. Visite virtuelle du festival disponible ici.