Aux premiers stades de la pandémie, lorsque le monde s’est enfermé, la photographe Lisa Sorgini a ressenti un étrange sentiment d’inquiétude et de malaise. Cela lui a rappelé le moment où elle est devenue mère : le monde changeait soudainement, comme si le temps passait sur un autre rythme. C’est ainsi qu’est née l’idée de sa série « Behind Glass », présentée récemment dans une exposition en ligne organisée par Bill Shapiro, collaborateur de Blind et ancien rédacteur en chef de LIFE Magazine.
Principalement photographiée à travers des fenêtres, la série « Behind Glass » montre des mères et des enfants à travers des vitres qui réfléchissent le monde alentour. Les images sont tendres, mais comme lorsqu’on aborde la quarantaine, on éprouve aussi le léger et inquiétant sentiment d’être piégé. « Le verre peut être vu de deux façons », explique Lisa Sorgini. « Il peut être interprété comme un protecteur vis-à-vis du monde extérieur, gardant ceux qui sont derrière lui en sécurité, mais il peut aussi créer une distance, éloignant et isolant les sujets de tout contact. »
Sur fond de tons terreux, un lustre brun et doré imprègne chaque cliché. L’accent est mis sur l’environnement naturel, qu’il soit capturé dans des reflets ou photographié à l’extérieur ; l’une des images montre seulement l’ombre d’un enfant contre la clôture, sa petite main tendue vers une fleur. Il y a aussi des tableaux caravagesques, une nature morte de pots de confiture Bonne Maman, des tranches de pastèque et des fleurs séchées, tout cela baigné dans cette même lumière dorée, tandis qu’un jeune enfant à la chevelure blonde tend la main vers le fruit. « Ses photos dégagent un sentiment d’intemporalité. Pour moi, elles semblent être la mémoire même », commente Shapiro à propos de l’œuvre de Sorgini.
Sorgini a voulu saisir le monde tel qu’il apparaît à une jeune maman – à la fois élargi et contracté –, mais elle a également capté comment le monde apparaît aux yeux de l’enfant, subtil mélange d’émerveillement et de crainte. Il y a la beauté du cygne sur le lac, ou du paon blanc aux plumes déployées en éventail ; il y a l’insecte vert, conçu pour se fondre dans les feuilles au milieu desquelles il vit, saisi au creux de la paume d’une main. Toutes choses qu’il nous arrive de voir, mais en vieillissant, nous nous sommes habitués à leur majesté.
En définitive, Sorgini a photographié ce qui lui manquait en tant que jeune mère, ce qu’elle aurait voulu voir. « Lorsque mon fils est né, et encore aujourd’hui six ans plus tard, je me suis souvent sentie aliénée par le manque de représentation de la complexité de la maternité. La société est obsédée par la jeunesse et les expériences de l’adolescence. Et pourtant, la matrescence est tout aussi significative des énormes changements qui se produisent. Mais, en tant que jeune maman, je n’avais pas accès au large panel d’expériences de la maternité. Je voulais explorer cela de manière honnête et authentique par rapport à ce que j’ai vécu. »
Et si l’expérience de Sorgini ne reflète peut-être pas celle de tout un chacun, une profonde nostalgie imprègne ces images. La nostalgie de ces moments de tendresse, de fusion, et de la beauté parfois cruelle de notre monde.
Exposition « Lisa Sorgini Behind Glass », en ligne à la Homecoming Gallery.