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Le nouveau sud de l’Amérique, vu d’en haut

Pour son dernier livre, Peter Essick a réalisé des photographies aériennes abstraites et picturales de chantiers de construction à Atlanta. En présentant cette série, Essick cherche à révéler l’impact humain du développement ainsi que le pouvoir durable de la terre.

« Atlanta est faite pour les affaires », affirme la Chambre de commerce de la région métropolitaine d’Atlanta, et rares sont ceux qui diraient le contraire. La ville se présente depuis longtemps comme la capitale du nouveau Sud. Atlanta proprement dite ne compte que 500 000 habitants, mais la population de la région métropolitaine d’Atlanta, qui s’étend sur 21 comtés, dépasse aujourd’hui les 6 millions d’habitants et ne cesse d’augmenter.

D’ici le milieu du siècle, 2 millions de personnes supplémentaires s’installeront à Atlanta. C’est la zone métropolitaine la moins densément peuplée des États-Unis, sans océan ni chaîne de montagnes pour l’enfermer. Atlanta peut s’étendre jusqu’à l’horizon, comme beaucoup d’autres grandes régions métropolitaines du Sud, notamment Dallas, Orlando, Houston, Charlotte, Nashville et Raleigh-Durham. Six des dix États à la croissance la plus rapide du pays se trouvent dans le Sud. Près de 40 % des habitants du pays y vivent.

Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick

Les gens ne viendraient pas s’ils n’aimaient pas ce qu’ils voient : beaucoup de soleil, d’emplois, des impôts peu élevés, des logements généralement abordables et la promesse d’une vie facile. Le Sud est encore une sorte de toile vierge où l’on peut investir un million de dollars, acheter un terrain et s’autoproclamer promoteur. Les condominiums ou les gratte-ciel peuvent rendre la vie en ville chère ou indésirable, mais la campagne a elle encore du potentiel. Le prochain Charlie Croker (un magnat de l’immobilier dans une série sur Netflix) cherchera probablement à construire sur des pâturages ou des forêts à 30, 50, voire 100 kilomètres de la ville.

Un trajet rapide sur l’I-85 permet d’ailleurs de découvrir l’histoire d’Atlanta dans toute sa splendeur de béton et d’acier. Commencez par le Downtown Connector, où l’I-85 et l’I-75 se rejoignent aussi facilement que du Karo sur un corn-dog. Après Spaghetti Junction, où elle croise le périphérique I-285 d’Atlanta dans un ensemble vertigineux de ponts, l’autoroute se transforme en un monstre à 14 voies qui traverse le comté de Gwinnett.

À une heure au nord du centre-ville, il faut encore lutter contre le trafic et compter les entrepôts tout en s’émerveillant des noms sylvestres des lotissements offrant des maisons de cinq chambres sur des terrains d’un quart d’hectare. Un ou deux bosquets d’arbres et peut-être un vieux champ agricole sont les seules choses qui interrompent la similitude. Une usine gargantuesque s’élève au-dessus de la campagne autrefois bucolique où SK Battery America s’est installée sur 120 hectares à l’extérieur de la ville bien nommée de Commerce.

Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick

Bientôt, vous êtes en Caroline du Sud et au cœur de la « mégalopole du Sud ». Des chercheurs de l’U.S. Geological Survey et de la North Carolina State University ont inventé cette expression il y a une dizaine d’années. Ils ont prédit que l’empreinte urbaine entre Atlanta et Raleigh triplerait d’ici 2060. À l’époque de l’étude, 7 % du sud-est des États-Unis étaient recouverts de béton. En 2060, 18 % le seront. Un ruban d’expansion de 650 kilomètres, avec l’I-85 comme colonne vertébrale, serpentera à travers la région du Piedmont.

« L’histoire suggère que les humains, contrairement aux fourmis et aux moisissures visqueuses, optimisent rarement la croissance, en particulier lorsque des objectifs multiples tels que le profit, l’équité et l’intégrité écologique entrent en conflit », écrivent les chercheurs pleins d’esprit. J’ai récemment appelé l’auteur principal de l’étude sur les mégapoles pour lui demander si les choses avaient changé au cours des 10 dernières années. « Non », m’a-t-il répondu, « l’étalement urbain s’est plutôt aggravé ».

Ou peut-être que la situation s’est améliorée, selon le point de vue que l’on adopte. Les usines apportent des emplois, et les emplois attirent de nouveaux arrivants. Les travailleurs ont besoin de routes, de maisons et de magasins d’alimentation, et les lotissements et les centres commerciaux ne tardent pas à suivre. Les partisans du développement parlent d’une « utilisation optimale » du terrain. Les opposants au développement l’appellent différemment. Atlanta s’enorgueillit d’être une « ville dans une forêt », mais son couvert végétal, qui atteignait autrefois près de 50 %, ne cesse de diminuer.

Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick

C’est la même histoire arboricole décevante dans tout le Sud. L’US Forest Service prévoit que 23 millions d’hectares d’arbres – soit l’équivalent de toutes les forêts du Kentucky et de la Caroline du Sud – seront perdus au profit du développement dans toute la région d’ici 2060. Pitié pour les pauvres oiseaux, abeilles, grenouilles, tortues, serpents, ours, papillons et les cerfs qui se déplacent d’un habitat à l’autre à la recherche de nourriture et d’amour. Le Sud est l’un des hauts lieux de la biodiversité au niveau national, avec pour seuls rivaux Hawaï et le nord-ouest du Pacifique. La survie d’un animal ou d’une plante dépend de sa capacité à chercher des pâturages plus verts, en particulier lorsque les températures se réchauffent et que les conditions météorologiques deviennent plus extrêmes. Pas moins d’un million d’espèces sont menacées d’extinction dans le monde.

« Le changement d’affectation des sols reste la plus grande menace actuelle pour la nature », déclare le Fonds mondial pour la nature (WWF). « La planète est au cœur d’une crise de la biodiversité et du climat. » Nous disons que nous aimons notre Terre. Les trois quarts d’entre nous affirment que le contact avec la nature est très ou extrêmement important pour notre santé et notre équilibre émotionnel. Une majorité encore plus grande soutient la loi sur les espèces menacées d’extinction (Endangered Species Act), qui fête ses 50 ans cette année, et son mandat de protection des animaux et de la biodiversité. Le regretté E. O. Wilson, entomologiste bien-aimé originaire de l’Alabama et « père de la biodiversité », a insisté sur le fait que la moitié des terres et des eaux de la planète doivent rester sauvages pour éviter les extinctions massives d’animaux.

Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick

C’est faisable. Un grand nombre d’organisations à but non lucratif, d’organismes de protection de la nature et de personnes disposant de moyens ont pris à cœur l’avertissement de l’écrivain Mark Twain : « Achetez des terres, elles ne sont plus fabriquées ». Les villes et les États créent des zones tampons entre les zones urbaines et rurales. De vastes étendues de terre ont été désignées comme corridors pour la faune et la flore ou pour le climat, en prévision d’un monde dangereusement plus chaud. La durabilité n’est plus seulement un mot à la mode chez les écologistes marginaux.

Il y a une douce ironie à voir la Géorgie, conservatrice et favorable au développement, embrasser la révolution verte. Cette usine à Commerce ? Elle produira suffisamment de batteries pour alimenter 300 000 véhicules électriques par an. Une méga-usine à l’est d’Atlanta et une autre à l’ouest de Savannah produiront bientôt des centaines de milliers de voitures, camions et SUV électriques. Tout cela est rendu possible grâce à des milliards de dollars d’allègements fiscaux et d’incitations de l’État et des collectivités locales.

Il s’agit là d’une utilisation optimale des terrains non bâtis. Il en va de même pour les entrepôts et les immeubles d’habitation qui adoptent une conception et des matériaux économes en énergie, exempts de carbone, recyclés et réutilisés. Le Kendeda Building du Georgia Institute of Technology d’Atlanta, par exemple, est « net-positif » pour l’énergie et l’eau, a été construit à partir de bois de récupération provenant d’arbres abattus sur le campus, déploie des panneaux solaires sur le toit et traite ses propres eaux usées dans le sous-sol. Le bois remplace de plus en plus l’acier et le béton recyclé sert à construire les fondations dans toute la Géorgie. Le maire d’Atlanta pousse la ville vers un noble objectif : 100 % d’énergie propre d’ici à 2035.

Work in Progress © Peter Essick
Work in Progress © Peter Essick

Les villes, comme les bâtiments, peuvent être intelligemment repensées. La croissance durable est une bonne chose – elle est certainement meilleure que l’alternative – et elle s’accompagne de nouvelles opportunités et de nouvelles histoires. L’avenir n’a pas besoin d’être un nouveau chapitre destructeur dans l’histoire implacable de l’étalement urbain d’Atlanta. La revitalisation et le renouveau offrent toutes sortes de possibilités et d’intrigues. Il ne tient qu’à nous de trouver la beauté dans le progrès.

Work in Progress, de Peter Essick est disponible chez Fall Line Press au prix de $65.

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