Thème majeur de la création contemporaine, la nature est cette année encore au cœur de nombreuses expositions aux Rencontres d’Arles. Pour le festival, c’est une façon de se faire le reflet d’une des grandes préoccupations du temps présent mais aussi de rendre compte de la diversité des démarches artistiques. Focus sur Léa Habourdin et ses « Images-forêts ».
Classée dans la section « Explorer et témoigner », l’exposition « Images-forêts, des mondes en extension » de Léa Habourdin invite le spectateur à découvrir les forêts primaires ou du moins « à caractère naturel ». Quatre lieux rares et secrets situés en France, protégés pour préserver leur intégrité, auxquels elle a eu exceptionnellement accès.
Depuis l’ENSP d’Arles où elle a été diplômée en 2010, Léa Habourdin s’intéresse aux liens entre l’homme et le monde sauvage, à la fascination du premier pour le second. De sa première série montrant les analogies de comportement entre l’humain et l’animal à un travail sur le survivalisme, en 2012. « L’année où le calendrier Maya prédisait la fin du monde. C’était bien avant que ce sujet ne devienne connu et soit “monopolisé” par les complotistes », précise-t-elle.
Dans ses travaux, Léa Habourdin se singularise autant par l’originalité de ses sujets que par le processus créatif mis en œuvre. D’un côté, son travail emprunte au documentaire parce qu’il est souvent mené sur le long terme et prend racine dans le réel et des faits concrets étudiés par les scientifiques. De l’autre, il ouvre une porte vers l’imaginaire, notamment grâce à une restitution formelle singulière, qu’il aboutisse à une exposition ou un ouvrage.
« Le livre est mon support de cœur, sans doute parce que j’ai fait l’école Estienne avant Arles, mais aussi parce qu’il me semble que c’est plus facile et plus clair pour moi de restituer mon travail ainsi. Et de plus le livre est un bon outil pour montrer son travail ». Cette passion l’a d’ailleurs conduite à créer sa propre maison d’édition, Mille Cailloux, « un vieux rêve » au sein de laquelle elle élabore des livres d’artistes faits à la main et tirés en petites éditions – de cinq à une cinquantaine d’exemplaires. Un travail distingué avec Ault de Thibault Brunet, qui a reçu le prix Révélation ADAGP /Salon Multiple Art Days (MAD) en 2019.
Plusieurs fois récompensée, Léa Habourdin a aussi été lauréate de la Carte blanche PMU-Le BAL en 2015. « Pour une jeune artiste, ce genre de dispositif est un bon moyen de se faire repérer et un complément d’apprentissage. L’accompagnement artistique dont j’ai bénéficié à cette occasion a été formateur ». Plus récemment, sa série « Images-forêts, des mondes en extension » a été réalisée grâce à la bourse de recherche du Collège International du Grand Paris (CIPGP) obtenue en 2019 et au soutien à la photographie documentaire du Centre national des arts plastiques (Cnap) en 2020. « Des aides précieuses tant financières que techniques. »
Pour cette série, si les prises de vue sont le fruit d’un travail classique de terrain effectué dans quatre forêts françaises au cours duquel elle a pu côtoyer et interroger des spécialistes, les 16 impressions présentées à Arles sont quant à elles le résultat d’expérimentations. Quatre sont des anthotypes, des tirages dont l’image est révélée grâce à de la chlorophylle – matière naturelle photosensible extraite de végétaux – une substitution aux produits chimiques habituellement utilisés. En parfaite adéquation avec son sujet, Léa Habourdin réalise donc des œuvres non polluantes qui ont, de plus, la particularité d’être vivantes car évolutives. Car la durée de vie de l’image ainsi imprimée est éphémère, entre 3 jours et 3 mois en fonction des conditions de conservation. Progressivement elle disparaît pour laisser place à une feuille blanche.
Les autres impressions présentées en plus grand format sont des sérigraphies réalisées avec des pigments naturels. « J’ai dû travailler en harmonie avec la nature, c’est-à-dire respecter les saisons, et accepter une part d’aléatoire. Par exemple, les couleurs des anthotypes dépendent des plantes utilisées. Ces contraintes induisent un autre rapport au temps, à une lenteur à laquelle nous ne sommes plus habitués », explique-elle. Personnage principal de bien des contes de fées, la forêt est un lieu chargé d’imaginaire et de mystère dans notre mémoire collective. Dans ce travail qui nous fait réfléchir aux relations que l’homme entretient avec le vivant, Léa Habourdin en redouble la dimension onirique. Et rappelle l’humilité dont nous devons faire preuve face à la nature, l’homme n’étant qu’un maillon d’une grande chaîne. « Un petit point dans l’univers » comme disait le philosophe Pascal.
« Images-forêts, des mondes en extension » de Léa Habourdin aux Rencontres d’Arles, Croisière, jusqu’au 25 septembre 2022.