Il y a quarante ans, un New York en plein renouveau se remet d’une décennie de dégradation et de destruction. Même si la ville croule sous les dettes, victime d’une politique de laisser-aller, d’une vague d’incendies criminels et d’un exode massif de la classe moyenne vers les banlieues, elle se transforme en une florissante enclave de l’avant-garde.
Ayant grandi à Toronto, le photographe Gun Roze arrive à New York en rêvant de faire partie de la ville dont il est tombé amoureux en feuilletant le magazine Interview à la fin des années 1970. « C’était ma première plongée dans le New York de cette époque », se souvient-il. « Les films et les émissions de télévision ne m’en avaient donné que des aperçus fictifs, tandis que le magazine Interview était au cœur de ce qui comptait : l’art, la musique, la mode et la vie nocturne. New York était une ville attrayante que je me devais de visiter. »
En 1980, Roze débarque à New York pour la première fois. « Je suis immédiatement tombé amoureux de la ville et de la liberté des New-yorkais. J’avais l’impression d’être à l’école de la vie », dit-il. Confiant de ce que la Grosse Pomme peut lui apprendre, Roze s’y rend deux fois en 1982, emportant autant de pellicules couleur Kodak qu’il peut acheter. À l’occasion du 40e anniversaire de sa série « Manhattan 1982 », il partage les souvenirs de ces New Yorkais croisés lors de ses déambulations dans les multiples univers de la ville : habitants huppés de l’Upper East Side, femmes actives de Midtown et activistes de la scène LGBTQ du centre-ville – où il fit dans une rue un portrait étonnant de la militante Marsha P. Johnson.
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« Au début des années 80, New York était sans peur et sans limites », raconte Gun Roze, au souvenir de la merveilleuse sensation éprouvée en se libérant de la culture conservatrice de Toronto. « Il régnait une atmosphère de totale liberté d’expression. Ce qui pouvait se passer dans les rues était imprévisible – tout ce que j’avais à faire était d’avoir mon appareil photo toujours prêt. »
Trouvant les trajets en métro trop bruyants, Roze préfère la marche, car il croise, au fil de ses allées et venues dans Manhattan, un éventail fascinant de personnes à photographier. Enchanté par la capacité inimitable des New-Yorkais à se distinguer au milieu d’une foule, Roze documente leurs styles audacieux et novateurs, transformant les trottoirs en autant de podiums où l’on défile.
Sur la Cinquième Avenue et la 57e Rue, il photographie ces dames qui déjeunent, passant de Bergdorf Goodman à Henri Bendel. Dans l’Upper West Side, il immortalise les nouveaux riches dans leurs luxueuses fourrures, tandis qu’à Soho, il s’intéresse à des styles plus bohèmes. Mais c’est l’Upper East Side qui l’impressionne le plus.
« J’étais attiré par son glamour et sa richesse. Ici, j’ai pu vivre ce que je n’avais vu que dans les magazines », se souvient Roze, qui préférait le confort et la sécurité de l’opulence. « Central Park était en cours de rénovation, mais c’était aussi un endroit où il était risqué de se trouver le soir venu. La 42e Rue était à son apogée, sordide et effrayante – too much pour un Canadien plutôt naïf. »
Quarante ans plus tard, les images de Roze nous donnent un aperçu d’un mode de vie révolu, l’innocence de l’ère de l’analogique faisant désormais partie du passé. Bien que les New-Yorkais n’aient pas perdu leur courage, leur passion et leur détermination, la gentrification a également provoqué l’exode de nombreux résidents de longue date et de familles multigénérationnelles. « Je pense que ces photographies rappellent que les progrès faits par l’homme ne nous ont pas apporté plus de joie, d’harmonie ou de sécurité », conclut Roze.
Par Miss Rosen
Miss Rosen est journaliste. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.