Né à Tokyo en 1985, le jeune photographe a grandi à Kanawaga, au Japon, et s’est mis à la photo naturellement, en suivant les traces de son père. « Habituellement, lorsque les enfants vont à l’université, les parents la payent. Les miens n’avaient pas les moyens. Pendant un an j’ai travaillé pour financer mes études et j’ai pu réfléchir à ce que je voulais vraiment faire. La photographie était une solution pragmatique. J’ai réfléchi à devenir artiste, designer, ou photographe… et mon père étant photographe publicitaire, la photographie m’a semblé être une voie toute tracée. »
Motoyuki Daifu rentre alors à la Tokyo Visual Arts College en 2007, et en tant qu’étudiant en photographie, commence à photographier « un peu de tout, un peu de rien ». Et encore une fois, ayant sa famille « sous la main », celle-ci s’impose comme un sujet photographique facile. Mais à sa grande surprise, lorsqu’ils se montrent leurs travaux entre étudiants, c’est ce travail sur la famille qui ressort. « Ce fut une surprise parce que ma famille, c’est ce que je voyais tous les jours, alors que pour les autres, c’était quelque chose de très spécial. »
En 2008, alors qu’il travaille dans un labo photo, il rencontre une jeune femme qui travaille, elle, dans un magasin de téléphonie mobile. Elle est mère célibataire d’un petit garçon de deux ans, et en attend un autre. L’amour est aussi fulgurant que la rencontre est inattendue. Même si, quand on lui demande pourquoi il pense être tombé amoureux d’elle, il répond avec une nonchalance assumée : « C’était juste mon type, au départ ».
Avec « Lovesody », fusion du mot « amour » (« love ») et « rhapsodie » (« sody »), le photographe, alors âgé de 23 ans à l’époque, donne à voir 6 mois de vie partagée avec cette jeune femme et son fils, oscillant entre douceur et sérénité, désordre et chaos.
Assise sur une chaise avec son visage de poupée coiffé d’une chevelure flamboyante, l’amoureuse de Motoyuki Daifu reste impassible face au désordre qui règne dans cet appartement : à sa gauche, une pile d’objets emballés dans des sacs plastiques culmine dans un coin de la pièce. Motoyuki Daifu a pris sur le vif des scènes de la vie quotidienne agitée de son amoureuse. Des tartines de pain grillé à moitié entamées, des briques de jus, transpercées de pailles, tout juste abandonnées, cohabitant avec un pot à stylo. Une pièce au parquet jonché d’objets et de jouets à moitié déballés dont on voit surgir le fils de sa compagne. Ou encore le petit derrière du fils en grenouillère qui escalade l’accoudoir du canapé, laissant présager la chute. Les clichés de Motoyuki Daifu rendent le « joyeux bordel » de la vie domestique et familiale et donnent vie aux objets à travers l’anarchie de leur disposition et leurs couleurs vives.
Par ricochet, ces clichés dévoilent la charge mentale qui pèse sur une mère célibataire. La femme apparaît bien souvent affairée, disparaissant derrière son fils, tantôt dans ses bras tantôt sur ses genoux, semblant se transformer en un être à deux têtes. De touchants clichés révèlent sa vulnérabilité. Comme dépassée par tant de tumulte, elle s’abandonne au sommeil devant l’objectif. En plein centre de la photo, son ventre arrondi blanc devient presque le personnage principal de la photo, désignant la seconde source de sa fatigue, la fabrication d’un être.
Cette série de Motoyuki Daifu réalisée il y a plus de 12 ans de façon spontanée fait ressurgir les images de l’enfance, une nostalgie de la vie insouciante protégée dans le giron maternel et la prise de conscience de l’amour et de la patience infinis d’une mère.
Exposition « Love Songs. Photographies de l’intime » à la Maison Européenne de la Photographie (MEP), 5/7 Rue de Fourcy, 75004 Paris, du 30 mars au 21 août 2022.
La série « Lovesody » de Motoyuki Daifu est exposée au studio du 30 mars au 12 juin 2022.
À l’occasion de l’exposition, la MEP offre une expérience immersive sonore en s’associant à Orosound : pour toute personne munie d’un billet et d’un smartphone, des casques sont mis gratuitement à disposition et proposent une playlist « Love Songs » concoctée par le directeur de la MEP, Simon Baker.