Conserver, expérimenter et transmettre les métiers et les savoir-faire de la photographie antérieure au numérique, tels sont les principaux objectifs du Collège international de Photographie du Grand Paris (CIPGP) imaginé par l’historien Michel Poivert. En attendant l’installation dans la maison de Daguerre en 2023, cet organisme hybride et atypique est déjà à l’œuvre.
En France, musées, festivals, galeries et formations consacrés à la photographie sont plus nombreux qu’ailleurs dans le monde. Le fait que notre pays soit le berceau du médium explique sans doute en partie ce dynamisme. Dès lors, on peut se demander pourquoi créer un lieu nouveau en Ile-de-France où les institutions sont déjà nombreuses ? « En France, nous avons la culture de la conservation, aussi bien des photographies que des appareils, mais moins celle des savoirs. D’où l’idée du Collège international de Photographie du Grand Paris, un lieu de transmission des métiers d’art liés au médium », explique Michel Poivert, à l’initiative du CIPGP qu’il préside.
Ce projet est né d’un constat : il y a depuis plusieurs années un regain d’intérêt pour l’argentique et pour les procédés anciens – le cyanotype, le collodion humide, etc. – mais ces savoirs ne sont que peu ou pas enseignés. Par conséquent, ils pourraient se perdre. Et, souligne le professeur d’histoire de l’art et de la photographie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, « il y a un besoin de dissocier les photographies des images ».
Outre les pratiques de prise de vue s’ajoutent les techniques spécifiques de tirage, comme le cibachrome, qu’il faut aussi perpétuer. « Il est primordial que les tireurs professionnels transmettent leurs savoirs et passent le relais aux générations suivantes. D’autant plus qu’actuellement nombreux sont les artistes particulièrement attachés à la question de la matérialité. », note Michel Poivert. Ce désir de préservation ne signifie en rien un refus de la modernité et du numérique. Les pratiques hybrides mêlant techniques d’hier et d’aujourd’hui ont elles aussi leur place au CIPGP. Cela passera par l’installation d’ateliers traditionnels et numériques.
Concrètement, le Collège regroupera trois pôles d’activités : un centre de formation pour les professionnels, un laboratoire d’expérimentation accueillant des artistes et des chercheurs en résidence et, enfin, un pôle éducation : « Il s’agit aussi de faire découvrir la pratique de la photographie à une population plus large. Cela inclut les scolaires et les jeunes mais aussi des publics plus inattendus comme ceux des centres sociaux ou encore des personnes âgées », explique Michel Poivert.
Initialement, le CIPGP devait faire partie d’un vaste projet d’urbanisme d’Ivry-sur-Seine mais devant la longueur des délais de réalisation, Michel Poivert a saisi la proposition faite par le maire de Bry-sur-Marne, ville située à une trentaine de minutes du centre de Paris. Celle-ci a déjà des liens avec le médium puisqu’elle accueille un pôle regroupant l’Institut national de l’image (INA) et les studios de cinéma de Bry. Non loin, l’ancienne propriété de Louis Daguerre demeurait inoccupée. Cela fait donc sens que le CIPGP s’installe dans l’ancienne demeure de l’inventeur du daguerréotype, « une belle façon de faire vivre le patrimoine », souligne l’historien.
Si les travaux nécessaires à la réhabilitation et à l’aménagement prendront au moins deux ans, cela n’empêche pas le CIPGP de mener différentes actions de préfiguration depuis 2019. A son actif : des colloques, comme à l’automne dernier celui consacré au tirage, et des ateliers scolaires. Début juillet se tiendra l’université d’été. Côté pratique artistique, trois artistes ont déjà reçu les Bourses Recherches Création (Jérémie Brugidou, Fabien Ducrot et Anna-Katharina Scheidegger) et les lauréats des commandes ont été désignés (Isabella Hin et Téo Becher). Enfin, un nouveau prix dédié aux tirages de collection a vu le jour. Son objectif est de mettre en lumière le travail du duo tireur/photographe. Soutenu par le couple de collectionneurs Florence et Damien Bachelot, il a récompensé Juan Cruz Ibañez et Clément Verger en 2020.
Se positionnant en défenseur des savoirs-faire photographiques antérieurs au numérique, le CIPGP compte faire une demande pour leur inscription à l’inventaire national du Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO. A suivre donc.
Par Sophie Bernard
Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.
Université d’été dans la propriété Daguerre, à Bry-sur-Marne (94), en partenariat avec l’université Paris Panthéon-Sorbonne et la Fondation des artistes, du 1er au 3 juillet 2021. Plus d’informations ici.