Cinq ans se sont écoulés depuis les manifestations de masse à Hong Kong, et quatre ans depuis que le Covid-19 a paralysé la ville, ainsi que le reste du monde. Pendant tout ce temps, Mikko Takkunen a vu ces événements arriver en photo sur son bureau alors qu’il y travaillait en tant qu’éditeur photo pour le New York Times.
Sa nouvelle monographie, intitulée Hong Kong et publiée par Kehrer, réalisée entre février 2020 et juin 2021, n’est pas un regard sur cette période. Il s’agit plutôt d’une déambulation dans une ville qui subissait des changements radicaux, devenant de moins en moins ce qu’elle était, sans que personne ne sache vraiment ce qu’elle deviendrait.
Né en Finlande, Mikko Takkunen a débuté la photographie alors qu’il étudiait les relations internationales à l’université d’Aberdeen, en Écosse, au début des années 2000. Mais c’est un film qui l’a fait entrer dans le monde du photojournalisme. Ses photographies sont ainsi à la fois subjectives et documentaires et créent un récit de Hong Kong qui est beau et captivant.
« Ce hobby s’est rapidement transformé en passion, mais je prenais surtout des photos de mes amis, de groupes de musique, ou de voyages », explique Takkunen à Blind. « Ce n’est que lorsqu’un de mes amis m’a montré le documentaire War Photographer sur James Nachtwey que j’ai vraiment découvert le photojournalisme et que j’ai eu une révélation. Cela semblait faire le lien entre mes deux grands centres d’intérêt : la politique internationale et la photographie. Juste après avoir obtenu mon diplôme à Aberdeen, j’ai commencé un cours de photojournalisme à l’université métropolitaine de Swansea (aujourd’hui appelée université du Pays de Galles Trinity Saint David), au Pays de Galles. »
Après avoir obtenu son diplôme, Takkunen travaille comme photographe éditorial à Londres pendant quelques années, mais ne réussira jamais vraiment à produire les reportages dont il rêve, en dehors de quelques séries personnelles dont certaines en collaboration avec des ONG au Sierra Leone, Liban et Mexique. Lorsqu’il trouve un emploi au New York Times en tant qu’éditeur photo au sein du service international, il cesse alors d’être photographe de presse.
« Je ne voulais pas que l’on me voie essayer de jouer sur les deux tableaux et entrer en concurrence avec les photographes dont je pouvais éditer le travail », explique t-il. « Ce n’est qu’en 2018, lorsque ma femme m’a offert un appareil télémétrique, que j’ai recommencé à m’intéresser à ma propre photographie. J’ai photographié quelques manifestations à Hong Kong en 2019 et j’ai recommencé la photo de rue. A la fin de l’année 2019, lorsque j’ai su que j’allais être muté aux États-Unis et que j’ai compris que notre famille allait quitter Hong Kong, j’ai vraiment ressenti le besoin de photographier la ville de manière plus sérieuse. »
Lorsque le Covid apparait, Mikko Takkunen commence à travailler à domicile. Il reste chez lui plusieurs jours d’affilée, prêtant davantage attention à ce qui se passe sur les toits et dans les rues en dessous de son appartement. Mais au fil du temps, il recommence à arpenter la ville, appareil photo à la main. Il se déplace à pied ou à bord des tramways à impériale, omniprésents sur l’île de Hong Kong, que ses habitants appellent « ding dings ». Bien qu’ils voyagent lentement, le deuxième étage à ciel ouvert des tramways permet d’obtenir des vues très pantographiques de la vie urbaine environnante.
Contrairement au célèbre photographe hongkongais Fan Ho, connu pour ses magnifiques photographies en noir et blanc de la ville, Takkunen travaille en couleurs vives. Ses photographies évoquent le travail de Saul Leiter, que Takkunen considère comme une source d’inspiration, ainsi que le reste de l’école new-yorkaise. On peut aussi comparer les photographies de Mikko Takkunen à celles de William Eggleston. Ainsi, le travail en couleur d’Eggleston autour des États-Unis, comme celui de Takkunen, n’est pas vraiment un projet documentaire, mais il capture une époque particulière. La photographie de Mikko Takkunen est un regard plus subjectif et personnel sur la ville qui l’entoure. Elle révèle la banalité.
Comme Ho, Takkunen est revenu sur plusieurs lieux, à la recherche des photographies qu’il voulait réaliser. « J’avais certaines idées en tête, comme une vue particulière depuis le Star Ferry en direction de Kowloon. J’avais remarqué ces étonnantes bandes rouges et blanches près des portes du ferry. Il y a quelque chose qui m’a séduit. C’est peut-être parce que ce sont les couleurs du drapeau de Hong Kong. J’ai eu l’idée d’un cadrage où la barre serait à droite et la lumière juste ce qu’il faut, et où l’on verrait la tour de l’International Commercial Center du côté de Kowloon à l’arrière-plan. Je crois que j’ai essayé à plusieurs reprises, mais je n’étais pas satisfait du résultat. La troisième fois, j’ai littéralement fait des allers-retours entre l’île de Hong Kong et Kowloon pendant des heures, au point qu’un homme, qui était peut-être un policier en civil, est venu me demander pourquoi je continuais à faire des allers-retours. »
Il existe une autre différence entre Takkunen et ses influences. Alors que Ho était un Hongkongais, Eggelston un Américain et Leiter un New-Yorkais, Takkunen est un « gweilo », terme cantonais désignant un Occidental. Hong Kong n’étant pas sa ville, même s’il y a vécu pendant cinq ans et qu’il y a connu certains des jours les plus difficiles. Il y a été un étranger dans la ville, la regardant à travers les yeux d’un étranger.
« Dans mon travail d’éditeur d’images, je m’occupe beaucoup de photos qui parlent de quelque chose. Avec mon propre travail, je tente d’oublier cela. Le livre est mon Hong Kong. Les photos sont plutôt mes impressions, et elles n’essaient pas vraiment d’argumenter. J’espère que les gens verront une beauté inattendue dans mes photographies, qu’il s’agisse d’une nature morte dans la cuisine de Tai Hang, où j’ai vécu, ou de néons se reflétant dans une flaque d’eau dans une allée de Causeway Bay, ou qu’ils trouveront quelque chose d’extraordinaire dans l’ordinaire, qu’il s’agisse d’un cycliste à Mong Kok ou d’un oiseau se reposant sur un terrain de jeu de Kennedy Town. J’espère que les gens verront que j’ai aimé Hong Kong. »
Hong Kong n’est plus la ville qu’elle était avant 2019. La loi répressive sur la sécurité nationale mise en place par Pékin à l’été 2020 a érodé les libertés qui distinguaient Hong Kong de la Chine continentale. Hong Kong était censée rester relativement inchangée pendant cinquante ans après la rétrocession par les Britanniques en 1997, mais cela n’a pas duré. Les médias ont fermé les uns après les autres, et la liberté de la presse restreinte. Des personnalités de l’opposition ont été emprisonnées. Certains procès se poursuivent encore et peu d’entre elles ont la perspective de retrouver leur liberté face à des tribunaux qui ne sont plus vraiment indépendants. D’autres ont fui à l’étranger pour voir apparaître des avis de recherche dans la ville qu’ils ont quittée. Le principe « un pays, deux systèmes » s’est totalement érodé.
La beauté simple de cette ville subsiste pourtant. Aucune nouvelle loi, aucun gouvernement répressif, aucune tactique policière musclée ne peut effacer le souvenir de ce qui fut, quels que soient les efforts déployés. Le travail de Takkunen capture sa mémoire. C’est ce souvenir d’une époque à Hong Kong où les choses paraissaient les plus sombres et les plus dures que la couleur de la ville a fait apparaître pour révéler une beauté cachée.
« Travailler sur ce livre, que je n’ai commencé qu’un an et demi après avoir quitté Hong Kong, m’a permis de me remémorer le temps que j’ai passé là-bas », ajoute Mikko Takkunen. « Mes deux filles y sont nées, en 2018 et 2020, et j’y ai donc beaucoup de souvenirs. Je pense à mon “travail de jour” au Times, à la couverture de l’Asie et, bien sûr, aux manifestations de 2019 dans la ville elle-même. Et, bien sûr, surtout, le moment où j’ai pris ces photos : les journées passées à l’extérieur, dans l’air chaud et humide de Hong Kong. Je n’étais pas très enthousiaste à mon arrivée au printemps 2016, mais je suis peu à peu tombé amoureux de la ville. J’espère y retourner. Hong Kong et ses habitants sont spéciaux. »
Hong Kong est publié par Kehrer et disponible au prix de 35€ sur ce lien.