Porté par l’idéologie, l’ambition et une fascination pour la guerre, Peter van Agtmael a commencé à documenter la guerre en Irak en 2006. Il s’est depuis lancé dans une odyssée photographique de près de 20 ans qui débouche aujourd’hui sur une œuvre qui raconte l’évolution de la société américaine.
« J’avais 20 ans le 11 septembre 2001, l’invasion de l’Irak a eu lieu juste avant que je ne sois diplômé », raconte le photojournaliste Peter van Agtmael. « Il s’agit d’événements marquants à une période de ma vie où mon évolution personnelle était profonde. L’Irak et l’Afghanistan sont les guerres de ma génération et je voulais les documenter. J’avais cette fascination naïve pour les conflits, une croyance politique naissante mais fragile, et un désir primaire de prouver ma masculinité, à moi-même comme aux autres. »
À l’époque du 11 septembre, van Agtmael étudie l’histoire à l’université de Yale. Après avoir obtenu son diplôme, il devient photographe chez Polaris Images (il est maintenant membre de Magnum Photos). Alors qu’il travaille pour l’agence, il remplit un bref formulaire, attend quelques semaines et, lorsque l’approbation arrive, il s’envole pour le Koweït, où l’armée l’emmène ensuite en Irak.
C’est le début d’une odyssée de près de 20 ans pour documenter l’Amérique en guerre, sur son sol comme hors de ses frontières. « Je n’avais pas d’idée précise de ce que je voulais montrer, car je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait », explique-t-il. « J’ai commencé par imiter mes idoles et j’ai essayé de prendre des photos dans les traditions classiques de la photographie de guerre. »
Au bout de quelques mois, Peter van Agtmael commence à avoir l’impression de tourner en rond. En s’inspirant d’autres photographes, il va se rendre compte du type d’images qu’il prend et de celui qu’il doit peut-être adopter. « Philip Jones Griffiths m’a montré que la photographie pouvait représenter une analyse aussi bien qu’une preuve, et au fur et à mesure que je m’impliquais, j’ai commencé à développer ma propre compréhension des événements que je couvrais. Il est devenu évident que pour raconter l’histoire des États-Unis en guerre, je devais également documenter la nature et l’histoire de mon pays, sous toutes ses formes manifestes. J’ai commencé à adopter cet angle, et cela a duré 20 ans. Je suppose que j’ai encore des décennies de travail devant moi, chaque couche successive clarifiant et brouillant les pistes. »
Look at the U.S.A. : A Diary of War and Home, le dernier livre de Peter van Agmael, est le point culminant de l’exploration par le photographe des guerres américaines en Afghanistan et en Irak, et du « front intérieur », celui-ci à des milliers de kilomètres des champs de bataille. Chronologiquement, il commence par la guerre en Irak et se termine par la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans.
Au début, le livre juxtapose des scènes de troupes au combat avec celles de leurs familles endeuillées à la maison, ainsi que la convalescence des blessés. Au fur et à mesure que le récit progresse, le point de vue s’élargit. Il examine tour à tour les questions du nationalisme, de l’élection de Donald Trump, du militarisme, puis les problèmes raciaux et sociaux dans la société américaine.
Les photographies, dont des dizaines sont inédites, sont associées aux expérinces personnelles de Peter van Agtmael, à ses observations, et aux entretiens qu’il a menés avec les personnes qu’il a rencontrées au fil des années. Tous les éléments concourent à créer un regard complexe, surréaliste, accablant et parfois ironique sur l’Amérique depuis le 11 septembre.
Lorsque Peter van Agtmael commence ce projet à la fin des années 2000, il n’a alors aucune idée de l’ampleur qu’il va prendre. Dans les zones de guerre, le photographe comprend facilement l’importance des événements qu’il documente. Mais son travail sur le sol américain se déroule de manière plus aléatoire, le menant sur des terrains inattendus. « J’espérais surtout survivre », raconte le photographe. « J’avais mes petites ambitions, mais je savais surtout instinctivement que je devais être là. J’étais un petit imbécile à bien des égards, mais je ressentais aussi une incroyable force d’action. Lorsque j’étais en Irak, j’avais l’impression d’être la personne que je devais être. Le reste du projet s’est déroulé au fur et à mesure des rencontres, des amitiés, des conversations et des découvertes émotionnelles et intellectuelles qui m’ont conduit sur des chemins que je n’aurais jamais pu anticiper. J’ai appris les dangers du dogmatisme grâce à une expérience durement engrangée. »
L’œuvre de Peter van Agtmael en est d’autant plus complexe. Les photographies jettent un regard sans complaisance sur l’Amérique, exposant des phénomènes sous-jacents qui peuvent être difficiles à accepter. Elles ne répondent pas à d’éventuelles questions, plus on les observe, plus elles interrogent. Les photographies et le texte accompagnant exposent des blessures qui n’ont pas encore cicatrisé et des problèmes sociaux que le peuple américain n’a collectivement pas encore affrontés. On y décèle en revanche bien la fracture qui touche aujourd’hui pays.
« Les gens doivent participer à ce travail en parcourant le livre, je sais que je ne peux façonner les choses jusqu’à un certain point », explique Peter van Agtmael. « Le livre est volontairement à la fois austère et clair, mais aussi ouvert et incertain. Il reflète ma compréhension comme ma confusion. Il n’y a pas un seul message que je souhaite transmettre. Il se veut complexe et contradictoire. »
Ce travail, entre reportage et journal intime, a également laissé des traces chez Peter van Agtmael. Il écrit dans un bref texte à la fin du livre que s’il s’en est sorti à peu près intact, ou qu’il sait travailler calmement dans une situation chaotique, il est aujourd’hui incapable de regarder un film d’horreur. Sa mère estime notamment que « son âme est endommagée ». Et s’il dit pouvoir encore aimer, et aimer profondément, il se laisse aussi plus facilement emporter par la colère.
« J’ai suivi une longue thérapie, que je poursuis de temps à autre », explique-t-il. « J’ai abandonné la photographie de guerre à plein temps, bien qu’elle continue à faire partie de ma vie. Un certain nombre d’expériences avec des substances psychédéliques qui élargissent la conscience m’ont aidé à mettre de l’ordre dans mon esprit et m’ont apporté une sorte de paix intérieure. La rencontre avec ma femme a modifié mes priorités et mon sens de l’auto-préservation. J’ai commencé à peindre. Le passage du temps a contribué à diluer certaines des choses douloureuses dont j’ai été témoin. Quoi qu’il en soit, je suis fondamentalement changé. J’espère que tout ira pour le mieux. Je n’en serai jamais sûr. »
Look at the U.S.A. : A Diary of War and Home est publié par Thames & Hudson et est disponible au prix de 60 dollars.