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Les étoiles montantes de la photographie éthiopienne

L’immense capitale de l’Ethiopie, Addis Abeba, est le théâtre de changements urbains sans précédent. Dans le sillage de travaux pharaoniques de modernisation, une nouvelle génération de photographes s’empare avec effervescence de ce sujet en mutation : la ville et ses habitants.

Consacrée internationalement, la photographe éthiopienne Aïda Muluneh avait pressenti qu’Addis Abeba allait devenir une plaque tournante de la photographie. Elle lance en 2010 l’Addis Photo Festival, l’occasion pour une nouvelle génération de photographes de se réapproprier l’image d’un pays trop souvent photographié à travers un spectre occidental.

Il n’y a pas d’école de photographie officielle en Ethiopie, et peu de lieux où elle est exposée. C’est donc les initiatives personnelles qui font bouger les lignes. La photographe Maheder Haileselassie a ainsi fondé le Center For Photography in Ethiopia, une plateforme d’apprentissage pour les photographes émergents. 

Ces derniers privilégient la street photography, ont grandi avec les réseaux sociaux et la profusion d’images – ce qui n’est pas sans influencer leur pratique. Ils sont les principaux témoins des transformations profondes de leur pays. Blind en a sélectionné six, de trente ans et moins, à suivre absolument.

Amanuel Tsegaye: le plus matinal

© Amanuel Tsegaye

« Même si Addis Abeba est une ville aux rues grouillantes et chaotiques, la plupart de mes photos zooment à l’intérieur, et vont chercher le moment intime au sein de ces scènes chaotiques », résume Amanuel Tsegaye, photographe de rue de 24 ans, qui travaille surtout à l’iPhone, et surtout le matin.

Autodidacte passé maître de l’ombre et de la lumière, ses photographies sont de véritables moments de grâce. Une jeune femme bouquine paisiblement dans une gare routière à ciel ouvert, un frère et une soeur main dans la main traversent la rue qui les mène à l’école, protégés par un halo que créent des arbres majestueux et la lumière basse du matin… 

© Amanuel Tsegaye

Girma Berta: le plus graphiste

© Girma Berta / Courtesy of the artist and Addis Fine Art

Jeune photographe acclamé par la presse lors de la première édition de la foire d’art contemporain africain AKKA en 2016, il est le curator du remarquable compte instagram Streets of Addis

« Addis est ce que je vois, ce que je respire, ce que j’éprouve. J’interagis avec elle tous les jours, et je m’y identifie complètement. Il y a toujours quelque chose digne d’être capturé (…) Je ne choisis pas ce que je prends en photo. Ce que je vois a un sens immédiat et naturel – Ca se passe, tout simplement », avoue Girma Berta.

Dans la célèbre série « Moving Shadows », il orchestre une fusion entre les arts plastiques et la street photography. Il commence par immortaliser des scènes urbaines, des gens ordinaires aux travailleurs de rue, qu’il place ensuite dans des toiles de fond colorées. Une manière pour lui d’illustrer « des moments organiques de la vie de tous les jours, et d’offrir (son) interprétation visuelle de ces expériences ».

© Girma Berta / Courtesy of the artist and Addis Fine Art

« Partager des histoires de femmes et leur rôle significatif dans la société est gratifiant. »

Eyerusalem Jiregna: la plus fashionable

© Eyerusalem Jiregna / Courtesy of the artist and Addis Fine Art

Eyerusalem Jiregna est étudiante en stylisme à Addis Abeba lorsqu’un journal local l’embauche comme photo-reporter. Elle profite alors de ce nouveau médium pour enrichir son travail en tant que créatrice de mode.

En témoignent ses photographies de rue, très graphiques et colorées. Où l’on se demande si les sujets sont les personnes qu’elle croise ou les couleurs et les textures qui les habillent et les entourent. « Cela fait environ 5 ans que je collecte des inspirations à travers toute l’Ethiopie pour nourrir mes créations de mode, et je suis à présent en train de créer ma propre marque », admet-elle.

Dans sa série « The City of Saints VII », la femme et les tissus traditionnels occupent une place centrale. « Cette série est (…) émancipatrice parce que je suis l’une des rares femme photographe en Ethiopie. Pour les autres femmes et les jeunes filles, me voir réussir ouvre les yeux sur la possibilité de réaliser ses rêves. Par ailleurs, partager des histoires de femmes et leur rôle significatif dans la société est gratifiant », nous confie l’artiste.

© Eyerusalem Jiregna / Courtesy of the artist and Addis Fine Art

Abdi Bekele: le plus observateur

© Abdi Bekele

« J’ai commencé mon aventure photographique en prenant de manière ingénue des photos de la vie de tous les jours à Addis. Comme j’ai dû emménager très soudainement dans cette ville, la photographie a été un moyen pour moi de documenter et gérer ce changement d’environnement », explique le jeune Abdi Bekele.

Son premier projet, « Foundation », est une série féministe, qui met en lumière les femmes qui travaillent aux transformations urbaines d’Addis Abeba, métropole connue pour muer à grande vitesse. Au départ, il visait uniquement à documenter les changements urbains, jusqu’à ce qu’il visite des chantiers et réalise l’ampleur du travail mené par les femmes sur les sites de construction. 

« J’ai vu des femmes marteler des murs, mélanger et transporter du ciment sur cinq étages, excaver des gravats, déplacer des piliers de bois », se souvient l’artiste. « J’ai alors décidé d’explorer le rôle des femmes comme actrices de la construction et leur contribution invisible aux fondations non seulement des bâtiments, mais de la société au sens large. »

© Abdi Bekele

« Pourquoi ? Pourquoi prends tu cette photo ? »

Hilina Abebe: la plus engagée

© Hilina Abebe

Influencée par les photographies en noir et blanc réalisées par son père dans les années 1970 et son travail dans le social, Hilina Abebe développe une oeuvre à la croisée du documentaire et du portrait.

Elle nous parle ainsi de Ruddy Roye, le photographe et activiste jamaïcain, dont le travail se concentre souvent sur les inégalités sociales et raciales. « Une des choses les plus importantes que j’ai apprise de lui et de son travail, c’est l’intentionnalité et la nécessité de se poser cette question : Pourquoi ? Pourquoi prends tu cette photo ? Une question qui devrait être plus souvent posée avant de capturer une image. Même quand on pense le savoir, il faut toujours se le demander. »

Plus récemment, elle a développé une série très personnelle autour de son père. Elle l’appréhende comme un sujet de reportage, en portant une attention particulière à toutes les histoires qu’il a à raconter du haut de ses 80 ans.

© Hilina Abebe

Sehin Tewabe: la plus rafraîchissante

© Sehin Tewabe

A tout juste 20 ans, Sehin Tewabe est l’une des plus jeunes photographes exposée au Addis Photo Festival de 2018. Élevée dans une famille nombreuse, c’est de manière d’abord intime qu’elle aborde la photographie, désignée comme reporter officielle de toutes les fêtes familiales. « J’ai toujours assisté à des moments joyeux, qui se devaient d’être sauvegardés et remémorés d’une manière ou d’une autre », se rappelle-t-elle.

Sortie du cocon familial et lâchée dans les rues trépidantes de la capitale éthiopienne, elle emboîte le pas de ses camarades street photographes repérés sur instagram. Et se concentre à la fois sur les silhouettes anonymes, de dos ou de profil, qui peuplent sa ville natale, et les expressions du visage d’inconnus croisés ça et là, comme ce monsieur accroupi qui lit le journal avec une extrême concentration.

© Sehin Tewabe

Par Charlotte Jean

Charlotte Jean est journaliste et auteure. Ancienne collaboratrice de Beaux Arts Magazine et fondatrice de Darwin Nutrition, elle est diplômée de l’Ecole du Louvre et spécialisée en art contemporain.

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