Les images de Dieu, par ses fidèles

En 1984, le footballeur argentin Diego Maradona est transféré à Naples et va devenir bien plus qu’un joueur de football. Son passage dans la ville italienne marque une époque, non seulement sur le terrain, mais aussi dans la vie quotidienne des Napolitains. Le livre La Foto con Dios, de Carlo Rainone, retrace ces années à travers des photographies prises par des anonymes. Elles montrent Maradona dans des moments ordinaires entre 1984 et 1992 : à la sortie d’un entraînement, attablé dans un restaurant, discutant avec un passant. Ces images, souvent conservées par leurs auteurs comme des souvenirs précieux, témoignent du lien si particulier entre l’homme et cette ville.

Stade Luigi Moccia, Afragola, novembre 1984 © Carlo Rainone
Stade Luigi Moccia, Afragola, novembre 1984 © Carlo Rainone

Instants figés

À son arrivée en 1984, Naples est en difficulté. L’équipe du SSC Napoli lutte pour se maintenir en Serie A, la première division italienne, et la ville traverse une période économique compliquée. Maradona devient rapidement une figure centrale. Il incarne un espoir sportif, mais aussi une forme de reconnaissance pour une ville souvent reléguée au second plan en Italie.

Dans ce contexte, chaque rencontre avec lui devient un événement. Beaucoup cherchent à obtenir une photo, une preuve tangible de cette proximité. À une époque où l’image n’est pas aussi accessible qu’aujourd’hui, une photographie demande bien sûr un appareil photo, une pellicule, et l’accès au joueur. Ceux qui réussissent à immortaliser un instant avec Maradona gardent souvent ce cliché comme un bien inestimable.

L’auteur du livre, Carlo Rainone, souligne ainsi l’importance de ces photographies en les qualifiant de « reliques » et en mentionnant leur conservation dans les salons, bureaux et portefeuilles des Napolitains.

Pempinello” shoe store, Naples, 1986 © Carlo Rainone
Magasin de chaussures « Pempinello », Naples, 1986 © Carlo Rainone
New Stereo Club, Naples 1989 © Carlo Rainone
New Stereo Club, Naples 1989 © Carlo Rainone

Histoires de rencontres

En juin 1986, Michiho Ando, une jeune Japonaise, regarde chez elle un match de football à la télévision. Elle ne connaît pas ce sport, mais l’un des joueurs attire son attention. Il porte le numéro 10, dribble plusieurs adversaires et marque un but. Son nom est Diego Maradona.

Curieuse, elle fait des recherches et découvre qu’il joue à Naples. Elle envoie une lettre au club, demandant comment acheter un billet pour un match. Sa lettre est publiée dans un journal italien et des supporters napolitains lui écrivent pour l’inviter. À 21 ans, elle part seule pour Naples, assiste à un match, rencontre des supporters et finit par voir Maradona. Une photo immortalise ce moment.

À Naples, Annalisa Dello Russo, 8 ans, se prépare pour sa première communion. Son père, qui connaît des proches de Maradona, organise une surprise. Il lui bande les yeux, la conduit dans un jardin, puis lui demande de les retirer. Face à elle, Maradona la regarde et lui sourit. Il pose une main sur son épaule, la félicite, puis s’en va. Une photo est prise et restera affichée dans la maison familiale pendant des années.

Untitled © Carlo Rainone
Sans titre © Carlo Rainone

Gaetano, un garçon aveugle, rêve de rencontrer Maradona. Un jour, ses parents l’emmènent au stade San Paolo, où le joueur s’entraîne. Lorsqu’il se retrouve devant lui, Gaetano ne parle pas, il tend simplement la main. Maradona la serre. Plus tard, Gaetano dira qu’il a aussi rencontré le pape, mais que ce jour-là, avec Maradona, l’émotion était différente.

Dans un autre quartier de Naples, Antonio Luise grandit dans une famille qui possède une fromagerie. Son père connaît Maradona et conserve plusieurs objets qu’il lui a offerts : des maillots, des brassards, même des couverts utilisés par le joueur. Pour Antonio, Maradona fait partie du quotidien.

Ces photos ne sont pas seulement des souvenirs personnels. Beaucoup d’entre elles sont agrandies et affichées dans des commerces, des restaurants, des salons. Elles sont parfois glissées dans un portefeuille ou accrochées à un mur, comme un objet familier qui rappelle un moment vécu.

Maradona, au-delà de ses performances sportives, marque la ville par sa présence. Il se laisse photographier sans difficulté, accepte les demandes, partage des moments avec des inconnus. Ces images circulent, se transmettent et deviennent une part de la mémoire collective napolitaine. Pour exprimer son attachement à Naples, Maradona déclare à l’époque: « Je suis noir ou blanc, je ne serai jamais gris dans ma vie. »

Une période historique

Les années Maradona coïncident avec une transformation pour Naples. Son passage permet au SSC Napoli de remporter plusieurs titres, dont son premier Scudetto, le titre national. Dans la ville, l’ambiance change. Beaucoup de supporters parlent de ces années comme d’un moment unique, où Naples se retrouve au centre de l’attention, non plus pour ses difficultés, mais pour ses succès.

"D'Angelo” restaurant, Naples, 1989 © Carlo Rainone
Restaurant “D’Angelo”, Naples, 1989 © Carlo Rainone

Les photographies de La Foto con Dios témoignent encore davantage de cette époque. Elles montrent un joueur souvent entouré, parfois pressé, mais toujours accessible. Elles racontent l’histoire d’une ville qui, le temps de quelques années, vit au rythme d’un homme et d’un ballon. « Naples est ma maison », dit alors le footballeur. « C’est le peuple qui m’a le plus aimé. Je n’oublierai jamais. »

La Foto con Dios, de Carlo Rainone, est publié aux éditions Contrejour, et est disponible au prix de 35€.

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