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Les nouvelles économies de l’image

Tandis qu’au 1er étage du Centre Pompidou « Corps à Corps » célèbre les œuvres de photographes majeurs des deux derniers siècles, au sous-sol,  « Capital Image. Nouvelles technologies et économies de la photographie » pose un regard thématique sur l’image contemporaine. Derniers jours pour visiter cette exposition qui prend fin le 26 février 2024.

La photographie est partout. On se réveille avec elle, omniprésente sur nos écrans. Elle nous accompagne dans les transports : publicité, affiche de cinéma ou de spectacle. Puis en pleine rue, immense, immanquable, imprimée sur une bâche publicitaire qui habille un échafaudage. Dépassant le secteur artistique, la photographie est devenue un moyen de communiquer. Si pour certains, ce pas de côté est ce qui amoindrit l’âme véritable de la photographie, il faut avouer que le langage photographique reste le plus compréhensible. Nul besoin de traduction quand l’image seule permet de faire passer un message. 

Devenue la base de notre relation visuelle avec le monde, la photographie a transformé la science, l’art, la politique, les informations et les médias sociaux, ainsi que tous les types de commerces et d’industries. Dans l’espace de la galerie de photographie du Centre Pompidou, le photographe Armin Linke fait dialoguer photographies contemporaines, archives et images trouvées, avec des textes de l’historienne de la photographie Estelle Blaschke, des entretiens avec des chercheurs et scientifiques, et des citations datant de toutes les époques, qui posent une réflexion sur l’image. De ses origines jusqu’à l’essor du numérique, l’exposition met en lumière une autre histoire de la photographie : celle de ses innombrables utilisations utilitaires et de sa fonction en tant que technologie de l’information. 

Musée d'histoire naturelle, Berlin, Picturae, le « Convoyeur entomologique », traitement et numérisation d'insectes, Berlin, Allemagne, 2022 © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Musée d’histoire naturelle, Berlin, Picturae, le « Convoyeur entomologique », traitement et numérisation d’insectes, Berlin, Allemagne, 2022 © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Centre de conservation d'Iron Mountain, Boyers (PA), États-Unis, 2018 © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Centre de conservation d’Iron Mountain, Boyers (PA), États-Unis, 2018 © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023

Bienvenue dans l’ère du capitalisme des données

« Si vous n’avez pas de mémoire photographique, obtenez-en une », ironisait Kodak dans une publicité de 1966 pour Recordak Miracode, un système d’indexation de microfilms. Véritable « machine à mémoire », la photographie enregistre une part du monde et de l’histoire. Saisissant le réel, elle nous permet de le visionner, de l’utiliser et de le partager sous une grande variété de formes et de formats. Aujourd’hui, nous sommes inondés d’images qui s’accumulent, s’organisent et finissent par disparaître de nos mémoires. Pour les fixer, il existe divers outils  : album photo, planche contact, catalogue…Sur une pellicule photographique ou dans un fichier numérique, notre mémoire individuelle et collective est conservée. Archivée. 

Aujourd’hui plus de trois milliards d’images sont partagées chaque jour sur les réseaux sociaux. Des images dont les données et métadonnées peuvent révéler énormément d’informations : mots-clés, droits d’auteur, informations sur l’emplacement et l’heure, description du contenu… Du pain béni pour les géants du Web qui collectent données et métadonnées pour entraîner algorithmes de reconnaissance d’images, influencer les résultats des moteurs de recherche ou encore personnaliser la publicité. 

« La légende ne deviendra-t-elle pas l’élément le plus essentiel du cliché ? »

Walter Benjamin

Avec la photographie numérique, les systèmes de valeurs associés au médium ont changé. Ce qui est intéressant n’est plus l’image en elle-même, mais les données qui peuvent être générées et traitées par la suite. Collectées, exploitées, reproduites, monétisées, les images acquièrent dès lors une dimension économique et opérationnelle. En 1931 déjà, Walter Benjamin s’interrogeait sur la valeur de la photographie : « L’analphabète de demain ne sera pas celui qui ignore l’écriture, a-t-on dit, mais celui qui ignore la photographie. Mais ne vaut-il pas moins encore qu’un analphabète, le photographe qui ne saurait pas lire ses propres épreuves ? La légende ne deviendra-t-elle pas l’élément le plus essentiel du cliché ? » Bienvenue dans l’ère du capitalisme des données, où l’image est le support de choix du big data visuel.

Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, Scanner 3D, Paris, France, 2023 Avec la participation de l'INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris), CNRS (Centre national de la recherche scientifique), PCR Jubé © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, Scanner 3D, Paris, France, 2023 Avec la participation de l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris), CNRS (Centre national de la recherche scientifique), PCR Jubé © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, laboratoire de photogrammétrie, Paris, France, 2023. Avec la participation du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, laboratoire de photogrammétrie, Paris, France, 2023. Avec la participation du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, laboratoire de photogrammétrie, Paris, France, 2023. Avec la participation du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, laboratoire de photogrammétrie, Paris, France, 2023. Avec la participation du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, laboratoire de photogrammétrie, Paris, France, 2023 Avec la participation du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, laboratoire de photogrammétrie, Paris, France, 2023. Avec la participation du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), du MC (Ministère de la Culture), EPRNDP (Établissement public chargé de la conservation de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023

L’image au service de la science

Loin d’uniquement servir les Big Five (Apple, Amazon, Facebook, Google et Microsoft), cette économie de l’image peut contribuer à la recherche scientifique. En témoignent  les triptyques grands formats des clichés des restes de Notre Dame. Chaque objet récupéré par les pompiers est photographié sur le chantier scientifique de la cathédrale afin d’être étudié sous tous les angles. Ainsi, un simple morceau de bois alimente une base de données, autant en tant que vestige historique que donnée scientifique sur le bois de l’époque. Impliquant une cinquantaine d’équipes de recherche et laboratoires répartis dans toute la France, l’imagerie vise à apporter des informations utiles au chantier de restauration. 

Accompagnée de données empiriques et de mesures scientifiques, l’image devient opérationnelle, notamment dans les sciences naturelles et humaines, où elle sert de preuve et d’outil de production de connaissances. Déjà en 1889, Aimé Girard publiait Recherche sur la culture de la pomme de terre industrielle, un atlas de six héliogravures documentant les différentes étapes de croissance de la plante de pommes de terre. Aujourd’hui, la vision par ordinateur s’est répandue dans l’ingénierie, la fabrication et l’agriculture industrielle.

Ter Laak Orchids, technologie de triage par caméra, traitement des données, Wateringen, Pays-Bas, 2021 © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Ter Laak Orchids, technologie de triage par caméra, traitement des données, Wateringen, Pays-Bas, 2021 © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Priva, serre de tomates, Campus Priva, De Lier, Pays-Bas, 2021 © Armin Linke pour le projet Capital Image d'Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023
Priva, serre de tomates, Campus Priva, De Lier, Pays-Bas, 2021 © Armin Linke pour le projet Capital Image d’Estelle Blaschke et Armin Linke, 2023

Armin Linke s’est rendu aux Pays-Bas, deuxième exportateur mondial de produits agricoles, pour rendre compte de ces nouveaux procédés visuels. À Wateringen, l’entreprise Ter Laak Orchids se spécialise ainsi dans la culture d’orchidées, en utilisant la robotique et les modes de production basés sur les données. Afin de proposer une collection unique d’orchidées disponibles en différentes formes et tailles de pots, chaque fleur est photographiée en studio. Vingt-quatre images permettent d’analyser sa taille, sa couleur et sa forme grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique. Sur la base de cette analyse de l’information visuelle, chaque fleur est évaluée pour déterminer sa catégorie de prix et sa destination de marché. 

La production axée sur les données est devenue essentielle aux nouveaux produits logiciels. Ainsi, dans les immenses serres high-tech de l’entreprise néerlandaise Priva, un robot scanne chaque pousse d’un plan de tomates pour enregistrer sa forme, sa couleur, ainsi que la température et la taille de ses feuilles et lui fournir ses exacts besoins. Nous entrons dans un monde nouveau d’images numériques produites par des machines, pour des machines. 

Alors que les nouvelles technologies façonnent les regards, impossible de ne pas évoquer l’imagerie par intelligence artificielle, qui ne cesse de redéfinir la création photographique et artistique. Ce nouveau paradigme soulève non seulement des questions juridiques sur les usages et la confidentialité des données visuelles, mais surtout sur l’avènement d’une nouvelle ère automatisée et probablement « post-humaine ».

Aimé Girard, Recherches sur la culture de la pomme de terre industrielle et fourragère, atlas avec six héliogravures, 1889
Aimé Girard, Recherches sur la culture de la pomme de terre industrielle et fourragère, atlas avec six héliogravures, 1889.

« Capital Image. Nouvelles technologies et économies de la photographie ». Jusqu’au 26 février 2024. Centre Pompidou, Galerie de photographies, niveau –1.

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